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les rajahs y mettent obstacle et ceux de leurs sujets qui ont quelque goût pour la vie militaire aiment mieux servir dans l’armée de leur souverain et dans leur pays natal que d’avoir à suivre la fortune et les pérégrinations d’un régiment anglais. Cependant, la plupart des hommes d’état anglais ne paraissent point concevoir encore d’inquiétudes : ils estiment que la supériorité de la discipline et de l’armement fait plus que compenser l’inégalité du nombre : ils font observer que les plus puissans des rajahs, Holkar, Scindiah, le Nizam, le maharajah de Cachemyr se sont toujours montrés les amis des Anglais et ont même mis plusieurs fois leurs contingens à la disposition du gouvernement britannique. Mais qui suspectait la fidélité des cipayes, la veille de la révolte, au moment où ils se transmettaient de main en main la fleur de lotus qui contenait l’arrêt de mort de leurs officiers ? Qui peut répondre des résolutions soudaines qu’une crise grave ou une catastrophe imprévue pourrait inspirer aux princes indiens ? Aussi l’optimisme dont nous parlons n’est-il point partagé par tout le monde. Plusieurs écrivains ont signalé le danger de ces armemens, et le Times n’a cessé de réclamer sur tous les tons la réduction et même le licenciement des armées indigènes comme n’ayant aucune raison d’être et grevant inutilement le budget des petits états. Ce désarmement est à peu près impossible. Le droit d’entretenir une armée est garanti à plusieurs rajahs par les traités mêmes qui ont placé leurs états sous le protectorat anglais : vouloir les en dépouiller aujourd’hui serait une iniquité qui les pousserait à la révolte. Les états situés sur les frontières ont besoin d’avoir des troupes pour se protéger contre les agressions de leurs voisins. Enfin, dans les états du centre, il n’y a d’autre force de police pour maintenir l’ordre et faire exécuter les lois que les soldats du rajah : on ne pourrait supprimer ceux-ci qu’à la condition de les remplacer par une autre force, et l’économie serait nulle. Le remède qu’on indique à un mal trop certain serait donc d’une application singulièrement difficile.


III

Les états autonomes ne sont pas le seul élément dont le gouvernement anglais ait à se préoccuper : il doit aussi tenir compte de l’opinion publique, qui commence à se former et à faire entendre sa voix. Ce serait une erreur de croire que les 150 millions d’Hindous placés sous l’administration directe de la couronne se désintéressent des affaires de leur pays et se laissent conduire comme un troupeau. Les grands propriétaires, les lettrés, les fonctionnaires et anciens fonctionnaires indigènes, les commerçans et les