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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/792

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pas contestable. Depuis quelques années, il s’est établi, particulièrement dans la province du Bengale, un très grand nombre de cercles, dans l’intention apparente de lire les journaux et de s’occuper d’études littéraires et scientifiques, mais où l’on s’entretient des affaires locales et des élections municipales, où l’on rédige des pétitions aux autorités ; et il est fort probable que la politique n’en est pas complètement bannie ; mais il n’y a point encore là de danger immédiat. Les griefs des Hindous contre les conquérans : la dépossession des grandes familles, les atteintes à la religion, aux mœurs et aux usages des indigènes, la restriction du droit d’adoption, le prosélytisme maladroit et irritant des prédicans, la lourdeur des impôts, l’impossibilité d’obtenir justice contre un Anglais, ne datent pas d’hier. Un mécontentement couve, comme il est inévitable, chez une nation conquise que le vainqueur ne cherche point à s’assimiler ; mais pour que ce mécontentement de la population hindoue fasse explosion, il faudra une étincelle partie d’ailleurs.

Les musulmans sont plus à redouter parce que chez eux la haine de l’infidèle est dictée par la religion et que la lutte est affaire de conscience. Ils s’inclinent devant une force supérieure, mais ils n’abdiquent aucune de leurs espérances. Ceux de l’Inde ne sont pas restés en dehors de ce réveil général du fanatisme religieux qu’on a pu constater depuis vingt-cinq ans dans le monde de l’islam. La facilité des communications a multiplié, dans une proportion inattendue, les pèlerinages à La Mecque et aux autres sanctuaires de l’islamisme, et les voyages à Constantinople. Tout musulman dont la foi s’est retrempée dans une de ces excursions pieuses rapporte chez lui de vagues aspirations au martyre et un esprit d’hostilité contre la domination des infidèles. L’approche des solennités religieuses de l’islamisme est toujours un sujet d’inquiétudes pour l’administration anglaise, parce qu’il est rare qu’elles ne soient pas l’occasion de désordres. Dans les premiers jours de novembre 1884, la fête du Mohourrum fut signalée par trois ou quatre émeutes. À Agra, les musulmans, dans un accès de fanatisme, se mirent à piller les maisons des principaux Hindous et luttèrent toute une journée contre la police. À Cambay, une querelle éclata entre les deux sectes rivales de l’islamisme, les chiytes et les sunnites. Les partisans d’Omar entreprirent d’exterminer les partisans d’Ali : ils se rendirent maîtres de la ville et en chassèrent les autorités, qui revinrent avec des troupes et de l’artillerie et reprirent possession de la place après un combat acharné. À Hyderabad, un des foyers principaux du fanatisme musulman, un jeune noble se rendait à la mosquée, monté sur un éléphant et suivi de serviteurs armés. La