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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/794

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Le gouvernement, au mois de novembre dernier, avant qu’aucune difficulté sérieuse avec la Russie eût surgi, a fait démentir le bruit, fort accrédité à Londres, que le vice-roi de l’Inde eût demandé l’envoi de renforts à raison de l’agitation qui se manifestait parmi les musulmans. Ce démenti était peut-être véridique ; mais nul ne contestera que l’attitude de ces populations ne soit pour l’administration anglo-indienne un sujet de constante préoccupation.


IV

Que faut-il penser des projets de la Russie sur l’Inde ? La conquête de cet immense empire entre-t-elle réellement dans les vues du gouvernement russe ? Pour les Occidentaux, qui ne connaissent l’Inde que par les récits des voyageurs sur la splendeur de ses monumens, la richesse de ses temples, le faste inouï de ses princes, c’est toujours le pays des merveilles, où l’on rencontre des trésors à chaque pas. La Russie sait à quoi s’en tenir sur cette prétendue richesse de l’Inde ; elle n’ignore pas que c’est un pays pauvre, épuisé par les exactions des Anglais et par les folles prodigalités des souverains indigènes. Les industries qui faisaient la fortune de quelques régions ont été tuées par la concurrence anglaise ; le commerce est en décadence : l’opium, qui paraissait une source intarissable de profits pour le Bengale, se vend mal depuis que la culture du pavot est tolérée dans les provinces méridionales de la Chine. L’Inde en est donc réduite à son agriculture, qui est languissante, parce qu’elle n sans cesse à appréhender ou l’excès de sécheresse ou le débordement des cours d’eau. Un pays exclusivement agricole n’est jamais riche : indispensable à l’Angleterre, à l’industrie de laquelle elle offre un marché de 200 millions de consommateurs, l’Inde serait entre les mains de la Russie une possession improductive et onéreuse. L’industrie russe a déjà dans l’Asie centrale un champ suffisamment vaste à exploiter, et elle n’y rencontre aucune concurrence. On doit donc croire les hommes d’état russes sincères lorsque, déclinant toute idée de conquérir l’Inde, ils indiquent comme infiniment plus désirable pour leur pays la possession d’un port sur le Golfe-Persique. En effet, par une sorte de fatalité, la Russie ne possède en Asie, comme en Europe, que des ports fermés par les glaces pendant une partie de l’année.

Est-ce à dire que la pensée du gouvernement russe ne se porte point fréquemment sur l’Inde ? Il s’en faut ; mais il convient de distinguer entre des rêves de conquête et une tactique politique. La guerre de 1879 a été un enseignement pour le gouvernement russe.