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dans tout leur service la soumission exacte et la science des détails qui sont les qualités les plus précieuses chez les chefs subalternes. Comme ils obtenaient l’épaulette dix ans après les élèves des écoles, il n’y avait pas entre les deux catégories d’officiers rivalité de carrière : ces derniers parvenaient à peu près seuls aux hauts emplois. Il se faisait entre eux la séparation que réclamait l’intérêt militaire. La majorité des grades inférieurs était occupée par les officiers sortis du rang et ayant acquis, par leur longue pratique, l’autorité nécessaire pour la conduite des hommes. La majorité des grades supérieurs appartenait aux officiers aptes par la variété de leurs connaissances à résoudre les multiples problèmes que pose la conduite des opérations. Comme enfin entre ces doux catégories il n’y avait pas conflit d’intérêts, chacune rendait justice à l’autre, sentait le profit de leur coopération commune, et ce corps d’officiers, le plus divers par ses origines, par ses aptitudes, par son avenir, était le plus uni qui fût en Europe.

Avec le service de trois ans, cette hiérarchie croule par la base. Le soldat ne peut être promu sous-officier avant le commencement de la seconde année : en fait, il ne l’est guère avant le commencement de la troisième. Briguer les galons, c’est se soumettre à un travail immédiat et long, avec la perspective d’une récompense lointaine et courte. La philosophie d’un conscrit suffit à conclure : il aime mieux mener trois ans l’existence de troupier que subir deux ans la rude épreuve des candidatures aux grades. Le soldat les fuit, et l’armée est le seul corps en France où il faille imposer les honneurs par ordre. Les gradés exercent leurs fonctions comme ils les ont reçues, de peur d’être punis. Ils n’ont ni par l’âge ni par l’expérience d’autorité sur les hommes. Ils ne tiennent pas à se faire d’affaires avec des subordonnés hier leurs égaux et demain peut-être leurs supérieurs dans la vie civile, la seule importante à leurs yeux : ils n’aspirent qu’à partir avec leurs compagnons de captivité, et l’état qui les forme en deux ans n’a pas un an pour s’en servir.

L’infériorité de ces cadres est telle que la nécessité d’avoir des sous-officiers plus mûrs a apparu au moment même où l’on réduisait le temps de service, et pour obtenir qu’ils restassent on leur a, oubliant les répugnances de 1872, proposé des hautes paies et des primes. Mais ces avantages ne sauraient être égaux à ceux que présente à des hommes de vingt-trois ans l’industrie privée, et elle y joint l’indépendance dont leur âge est avide. Sur les 40,000 sous-officiers dont l’armée a besoin, les avantages offerts ne retiennent pas au service plus de 12,000. Insuffisans par le nombre, ils le sont plus encore par la valeur.

On compte que l’incorporation de la jeunesse instruite permettra