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chance d’entrer à l’école, il ne restera pas. L’espoir ne lui suffit plus, il lui faut la certitude. D’où cette conséquence : les sous-officiers voudront se présenter à l’école durant leur première période de service. Ceux qui ne seront pas admis au moment où cette période expire quitteront l’armée ; ceux qui seront admis contracteront un engagement, mais pour entrer à l’école. Avec le service de trois ans, les sous-officiers formés dans la première année, nommés dans la seconde, seront candidats officiers dans la troisième.

Ce seul fait entraîne une révolution dans la manière de juger le mérite militaire. On tenait jusqu’ici pour les qualités les plus précieuses dans l’homme d’épée le sang-froid et l’audace sur le champ de bataille, la discipline et le sentiment du devoir partout. Ces vertus que l’occasion révèle et que l’habitude confirme trouvaient à se produire sous les yeux des chefs dans les devoirs longuement pratiqués de chaque grade : ce sont elles qui décidaient avant toutes autres de l’avancement. Laquelle se pourrait aujourd’hui manifester ? Ceux qui semblent plus intelligens sont, dès leur arrivée au corps, isolés de leurs camarades, dressés à peine conscrits aux fonctions de sous-officier, et, dès qu’ils ont obtenu leur nouvel emploi, distraits d’une responsabilité déjà trop lourde par l’étude de fonctions plus hautes. Où trouveraient-ils le temps d’accomplir les devoirs de leur grade ? Ils ont à peine celui de les apprendre. L’armée dégénère en pédagogie. Comme elle fait des élèves et non des soldats, il est naturel qu’elle choisisse les officiers par un examen : comme elle n’exerce que leur mémoire, elle établit entre eux toute la différence d’après ce qu’ils savent. Mais cet examen n’indique pas ce qu’ils sont, aucune des qualités qui font l’homme n’y peut être évaluée : le courage, l’honneur, les qualités morales disparaissent devant les qualités intellectuelles. Et quelle preuve même est apportée de celles-ci ? Le savoir modeste, la sûreté d’un esprit sans éclat, sont vaincus par la promptitude d’une mémoire passagère, l’agrément d’une parole même vide. Ce ne sont pas seulement les dons secondaires, c’est l’apparence de ces dons qui va prendre la place jusqu’ici réservée aux mérites essentiels et ouvrir la carrière aux deux tiers des officiers. Ces officiers n’auront à aucun degré l’expérience militaire et les connaissances pratiques de leurs aînés, et malgré l’excès des cours suivis par eux, ils demeureront ainsi inférieurs par leur éducation générale aux élèves sortis de Saint-Cyr.

Or, les élèves sortis de Saint-Cyr obtiennent l’épaulette de vingt-et-un à vingt-trois ans. Les sous-officiers la recevront de vingt-trois à vingt-cinq ans. La différence d’âge entre les deux catégories étant effacée, la rivalité va naître. Déjà elle est visible et dans l’unité