Un an avant que Tartufe parût devant les Parisiens, elle avait incarné la Célimène du Misanthrope, son triomphe, la plus fameuse de ses créations, celle où son empreinte est restée le plus profondément. Célimène est le type de femme le plus original et le plus complet qui soit sorti du génie de Molière ; c’est aussi le plus difficile du répertoire classique. Tentation éternelle des comédiennes, celles qui l’ont abordé s’appellent légion, celles qui ont pu s’en rendre maîtresses forment un groupe d’élite, admiré, envié : telle actrice de génie, comme Rachel, y échoua misérablement, et une vraie Célimène, comme Mlle Mars, est sûre de transmettre son nom à la postérité. On a noté, cependant, les intonations et les gestes des grandes interprètes du rôle ; la tradition les conserve et ils s’enseignent ; mais une élève intelligente aura beau en savoir tout ce qui peut s’apprendre, si elle ne tire de son propre fond le sentiment du personnage, elle ne fera que grossir le nombre effrayant des vaines tentatives qu’enregistre l’histoire théâtrale. Célimène a vingt ans et son expérience est celle d’une femme de quarante. Coquette et féline avec Alceste, d’une médisance légère avec les petits marquis, d’une ironie terrible avec Arsinoé, à chaque acte, à chaque scène, elle se montre sous un aspect différent. Contemporaine, ou à peu près, de Mmes de Châtillon, de Luynes, de Monaco, de Soubise, des nièces de Mazarin, elle doit éveiller comme un vague souvenir de ces grands noms ; elle est le produit exquis et rare d’une civilisation aristocratique dans le plein éclat de son développement, et souvent elle parle une langue d’une franchise d’allures et d’une verdeur presque populaires. Dans le salon où elle règne, il faut qu’elle donne le sentiment de l’aisance parfaite et de la suprême distinction ; et, au dénoûment, elle subit une humiliation cruelle, sans revanche possible ; elle a une sortie écrasante, et, même alors, elle ne doit rien perdre de sa fière attitude et de son sourire tranquille. La comédienne qui, la première, sut porter un tel rôle et s’y incarner fut vraiment une grande actrice. Or, Armande s’y surpassa elle-même ; ce fut, dit un contemporain, ce pauvre Robinet, qui sent mieux qu’il n’exprime, ce fut « un charme, » « un ravissement, » expressions que le temps devait rendre banales, mais qui retenaient encore toute leur force.
Qu’il y ait beaucoup d’elle-même dans le rôle, on ne saurait le méconnaître. Célimène est, par excellence, la grande coquette, et il semble bien qu’à la ville Armande tenait le rôle comme au théâtre. A défaut d’autres preuves, son goût de la parure et ses recherches de fantaisie originale suffiraient pour l’indiquer. Que l’on se rappelle son portrait dans le Bourgeois gentilhomme : sa