espérances qu’avait données ce jeune peintre dès avant son départ pour Rome, à tous ceux qui croient encore, comme nous, que, si les voyages forment la jeunesse, ils forment surtout les artistes.
Non certes, rien ne saurait être plus profitable aux jeunes gens que la fréquentation des chefs-d’œuvre incomparables renfermés dans la ville éternelle, que la vie laborieuse sous le ciel profond de l’Italie, que les promenades recueillies le long de la voie Appienne, que l’étude passionnée de la campagne de Rome, que l’air libre respiré dans les jardins du Pincio, que les grandes pensées éveillées fatalement dans l’âme des artistes par la contemplation solitaire des restes du Forum, des ruines du palais des Césars, de ce géant qui s’appelle le Colisée et de ces musées qui sont le Capitole et le Vatican. Les artistes qui ont vécu pendant quelques années dans l’intimité d’un pareil spectacle en ont tous emporté, quand ils méritaient cette fortune, comme un reflet de grandeur qui les suit à travers leur œuvre, qui les défend dans leurs erreurs et qui les protège jusque dans leurs défaillances. Mais il ne suffit pas d’avoir voyagé, d’avoir visité l’Italie, d’avoir parcouru l’Espagne, d’avoir fait à Séville, à Florence, à Venise, à Madrid de pieux pèlerinages, il faut ne pas avoir emporté les conventions de l’école à la semelle de ses souliers comme le sol de la patrie, et après avoir fait le tour du monde, il convient de ne pas rentrer à Paris comme si on n’avait jamais quitté l’atelier de M. Picot.
On nous avait annoncé que M. Bonnat préparait pour le Salon de 1885 un Martyre de saint Denis, et, pour le mieux apprécier, nous nous étions replongés d’avance dans la Fleur des Saints ; nous avions relu, ému et attentif, la légende de Denis, apôtre des Gaules, qui fut le premier évoque de Paris ; nous nous étions rendu à Notre-Dame et nous avions examiné curieusement la statue naïve, fidèle à la légende populaire, qui représente le saint portant sa tête : nous l’avions voulu comparer avec celle de Saint-Germain-l’Auxerrois et nous ne nous étions senti suffisamment armé, pour l’examen du tableau de M. Bonnat, qu’après un pèlerinage à la cathédrale à laquelle le saint a donné son nom, et qui a servi de tombeau à la victime des persécutions de Valérien. Cet examen terminé, nous étions persuadé que l’étude consciencieuse des premiers siècles de l’ère chrétienne devait fournir à un artiste de la valeur de M. Bonnat un sujet original et saisissant. Rustique et Éleuthère, les compagnons du saint, avaient en même temps que lui subi le martyre. L’empereur Valérien, grand ordonnateur de persécutions contre les chrétiens, avait présidé au supplice. Le lieu du supplice lui-même était incertain ; mais l’artiste pouvait choisir à son gré le mont des