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de coquetterie, et personne ne leur aurait su mauvais gré de résumer sur une toile plus modeste l’idée ingénieuse ou tendre qui leur avait valu d’être choisis dans le concours. Combien n’y aurait pas gagné le tableau, plein d’intentions charmantes, de M. Humbert ! M. Beaudoin, M. Chartran, ne pouvaient-ils pas, eux aussi, tirer parti de cette transformation en faveur de leurs Fiançailles ?

Comme eux, M. Besnard avait concouru pour la décoration d’une mairie. En exposant au Salon son tableau Paris, l’artiste fait appel devant le grand public de la décision du jury qui ne lui a pas accordé le prix. Cet appel est courageux, mais il ne désarme pas la critique. Si M. Besnard a voulu prouver seulement qu’il est un coloriste possédant à un très haut degré un sentiment personnel de l’art, il a parfaitement réussi ; il se dégage de son œuvre l’impression très nette que l’on n’est pas en présence de quelque chose d’ordinaire ; elle retient ceux-là même qu’elle exaspère par un je ne sais quoi de particulier qui n’est pas du premier venu ; elle a toutes les imperfections, mais aussi toutes les secrètes séductions d’une ébauche. Ceci dit, comment fermer les yeux aux incorrections définitives de l’œuvre ? Aucun travail pourra-t-il jamais donner la beauté à ces groupes d’enfans, épais, lourds, jaunâtres, confus, mal construits, qui ont la prétention de représenter des anges, personnages inconsistans s’il en fut et qui doivent être enveloppés de toutes les grâces de l’idéal ? Leur vulgarité surprend tout d’abord le regard, elle le captive et le retient, et on se demande quel crime ils ont commis avant de s’envoler légers et libres à travers les espaces éthérés pour conserver jusqu’après la mort une laideur aussi exceptionnelle. Mais ces anges ne sont dans le tableau qu’un hors-d’œuvre, ils pourraient être enlevés sans inconvénient. Ce que l’artiste a voulu montrer, c’est Paris éclairé par quelque grande fête populaire. Le long des quais s’allongent des illuminations multicolores. Tant de lanternes sont allumées, tant de feux brillent dans les ténèbres, tant d’éblouissantes clartés sortent des maisons et des édifices étages au-dessus de la rive, qu’on croirait entrevoir les lueurs d’un incendie plutôt que les rayonnemens d’une fête. Pendant ce temps, sur le fleuve, une grande barque s’avance. Faut-il remarquer que la barque choisie est une toue, bateau ordinairement affecté par le service municipal au transport des ordures ménagères ? — Cette toue porte des figures allégoriques : l’une d’elles est debout, magnifiquement éclairée par les reflets lumineux d’en haut ; l’autre, assise, est dans l’ombre, puissante et calme, à l’arrière du bateau. Toutes deux sont inachevées, leur signification est mystérieuse, et l’artiste ne semble pas avoir assez compris que toutes les imperfections de son tableau pouvaient lui être pardonnées si