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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/934

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artistiques. Cette école consent à ne pas renier les maîtres passés ; mais elle prétend qu’on les copie plus ou moins, tandis qu’on devrait se préoccuper de les imiter. La différence est importante : Les maîtres, disent les adeptes de cette nouvelle école, ne cherchaient pas, même dans leurs tableaux religieux, à faire revivre une antiquité sur laquelle ils avaient peu de lumières ; mais ils s’attachaient à peindre ce qu’ils avaient sous les yeux : les costumes, les hommes et les paysages de leur temps. Raphaël s’était bien un peu servi de la draperie romaine ou grecque, mais les autres s’en étaient tous peu souciés. Véronèse n’a-t-il pas toujours entouré Jésus-Christ de personnages de son siècle ! N’a-t-il pas placé son frère parmi les invités des Noces de Cana ? Ne s’y est-il pas placé lui-même ? Ainsi de Velasquez, de Titien, de tant d’autres ! Leurs œuvres, continuent-ils, aujourd’hui vieillies par trois, quatre ou cinq cents ans de froid, d’humidité ou de chaleur, défigurées peut-être par des décompositions chimiques, nous apparaissent sombres, quelquefois noircies ou embrunies. Qui nous prouve qu’elles ont été peintes de la sorte ? Qui nous prouve que leurs auteurs n’avaient point essayé de répandre sur elles la gaîté des tons clairs et les éblouissemens du soleil ? » Pourquoi s’efforcer dès lors de s’inspirer de couches successives de vernis pour donner à des œuvres modernes l’aspect qu’elles devraient avoir dans plusieurs siècles ? Et si nous nous trompons, ce qui est possible, disent-ils pour conclure, si les maîtres d’autrefois se sont tenus volontairement dans des gammes sombres, pourquoi nous tiendrions-nous à notre tour dans les mêmes gammes ? Les maîtres ne copiaient aucun de leurs devanciers, et par là ils nous ont enseigné à ne copier personne. Cherchons donc à nous rapprocher de la nature et abandonnons les principes. Nous trouverons au moins la nouveauté si la beauté éternelle nous échappe.

Ce programme développé et suffisamment répandu ne manqua pas de rencontrer des adhérons. Il ralliait des adeptes nombreux autant parmi ceux qui trouvaient trop pénible le dur et salutaire apprentissage de l’éducation classique, que parmi ceux qui voulaient faire du bruit, que parmi ceux enfin qui cherchaient sincèrement une voie nouvelle. Une sorte d’école se forma ainsi, qui d’abord fut mal vue du jury, qui finit cependant par pénétrer au Salon et par obtenir des récompenses. L’un de ses chefs reçut même la croix de la Légion d’honneur, ce qui fit grand bruit alors : il semblait que le gouvernement voulût récompenser un révolté.

Il faut l’avouer cependant, cette école eut sur la peinture française une influence quelquefois heureuse ; elle introduisit pour ainsi dire de force la lumière sur bien des palettes qui seraient sans elle restées sombres ; elle obligea l’œil du peintre à plus d’attention et