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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/955

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n’est pas sûr que ce scrutin de liste, qui est désormais rétabli, qui va être appliqué aux élections prochaines, ait été voté avec enthousiasme, avec une bien vive confiance. Si beaucoup de républicains l’avaient osé, s’ils ne s’étaient sentis retenus par une sorte de respect humain ou entraînés par un courant qu’ils croyaient irrésistible, ils auraient avoué leurs doutes et ne seraient peut-être pas allés jusqu’au bout. Ils ont laissé voir qu’ils allaient au vote comme on va à l’inconnu, les yeux fermés. Dans tous les cas, le sénat, faute de mieux, a voulu du moins attester son indépendance en introduisant une restriction ou un amendement dans l’œuvre qui lui revenait du Palais-Bourbon. Il a refusé de compter les étrangers dans la supputation du chiffre de la population, d’après lequel doit être fixé le nombre des députés. C’est le seul point sur lequel la discussion a été un peu vive. Au premier abord, rien ne semble assurément plus simple que de ne pas compter les étrangers dans l’évaluation du nombre des députés, dans la détermination de l’importance d’une représentation française. Si c’est une innovation, comme on le dit, elle n’a rien que de logique et de conforme à la raison. M. le président du conseil, néanmoins, a paru s’effrayer de cette audace, de ce changement introduit dans une loi d’élections, et quel est l’argument principal dont il s’est servi ? Il s’est employé de son mieux à démontrer au sénat qu’il mettait en péril la conciliation, l’union des républicains, qu’il allait affaiblir devant le pays l’heureux effet de « l’accord entre les deux majorités républicaines » du Luxembourg et du Palais-Bourbon. Il est même allé plus loin : il a presque signifié au sénat qu’il faisait un travail inutile, que la chambre des députés n’accepterait pas ses amendemens, qu’elle voterait « sa loi, à elle, toute sa loi. » C’est toujours dangereux d’aller jusqu’à des menaces pour n’être pas écouté. — Il est vrai que, peu après, M. le président du conseil, vaincu au Luxembourg, a eu la ressource de se tourner vers le Palais-Bourbon et d’employer la même argumentation dans un autre sens. Il a mis toute son éloquence à prouver aux députés qu’ils n’avaient qu’à se résigner, qu’ils devaient accepter ce que le sénat avait voté, que c’était le seul moyen d’avoir sans plus de retard le scrutin de liste pour réaliser l’union des républicains dans les élections : de sorte que, dans les deux cas, quelle que soit la valeur d’une loi ou d’une mesure, c’est toujours le même argument, la raison d’état, les circonstances politiques, — la nécessité de tout subordonner à la « concentration des forces républicaines. »

C’est fort bien ! Malheureusement la « concentration des forces républicaines » n’est point une politique ; elle ne peut servir ni à fonder un gouvernement, ni à décider des destinées d’un régime. Elle n’est tout au plus qu’un expédient de circonstance inspiré par un calcul et des nécessités de parti. Que représente-t-elle, cette alliance dont M. le président du conseil se fait un programme en lui donnant un nom un peu