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préjugés et des fanatismes de secte. C’est ce qu’il y a de plus clair, de plus sensible dans cette éternelle loi militaire, qui traîne depuis plusieurs années, dont on a cru devoir reprendre la discussion en seconde lecture il y a quelques jours.

Chose curieuse ! La commission chargée de préparer cette réforme si longuement méditée a eu successivement deux présidens, hommes de bon sens et de lumières, M. Margaine l’an dernier, M. Mézières cette année, et, par une coïncidence au moins singulière, les deux présidens successifs se sont crus obligés par patriotisme, par raison de combattre le travail de la commission. L’esprit de la loi nouvelle est tout entier, on le sait, dans la prétention d’établir le service « obligatoire, personnel et égal pour tous. » L’égalité, c’est le grand mot ! Encore cependant faudrait-il que cette égalité pût être réelle et de plus qu’elle se conciliât avec d’autres intérêts sociaux du pays, avec toutes les nécessités de l’éducation libérale, intellectuelle, scientifique de la jeunesse française. Le malheur de la réforme ou de la prétendue réforme qu’on propose est de tout confondre par un faux sentiment de démocratie, de n’être qu’une chimère meurtrière, d’être conçue de telle façon qu’elle ne peut pas créer la vraie puissance militaire du pays, qu’elle ne respecte pas non plus le grand et souverain intérêt de la culture morale et intellectuelle de la France. C’est ce que M. Mézières a prouvé une fois de plus l’autre jour avec une décisive et pressante netteté de parole. M. Mézières a supérieurement démontré à ces réformateurs, dont il est le président peu écouté, que leur œuvre ne pouvait qu’être funeste pour la grandeur française, que leur prétendue égalité n’était qu’un mot et n’avait rien de réel, qu’ils étaient obligés eux-mêmes de faire des exceptions, et que, faisant des exceptions, ils arrivaient à ce résultat singulier de s’occuper des situations particulières plus que des intérêts généraux du pays.

Qu’à cela ne tienne ! Ces réformateurs s’inquiètent assez peu des intérêts de l’éducation libérale et intellectuelle ; ils ne craignent nullement d’atteindre la jeunesse instruite, et leur grande, leur unique préoccupation est surtout de ne pas laisser échapper les séminaristes, de frapper l’église dans le recrutement de ses prêtres. Au besoin, ils feraient même des concessions pour les écoles laïques, à condition qu’on leur livrât les séminaristes. Voilà le dernier mot, voilà la pensée de secte ! Ce qu’il y a de plus curieux encore en tout cela, c’est que cette discussion qu’on a cru devoir rouvrir il y a quelques jours, qui n’est même pas finie, est absolument inutile. Elle ne peut conduire à rien. Elle ne peut pas être achevée avant la fin de la législature, et elle devra être recommencée avec une législature nouvelle. C’est du temps à peu près perdu, on le sait bien ; mais on aura montré au peuple qu’on a la bonne volonté, qu’on s’occupe de lui donner le service de trois ans, d’établir l’égalité pour tout le monde. On