raison et Romola avait tort. Il faut quelquefois être trop bon pour l’être assez.
Cette raideur est un des rares signes de sécheresse que l’on découvre chez George Eliot. Elle est en contradiction avec la tendresse de sa nature, mais si jamais caractère ne fut pas tout d’une pièce, c’est le sien. Il faut toujours s’attendre avec elle à une complexité d’idées et de sentimens qui déroute l’observateur, et dont une sorte de reflet, semble-t-il, paraissait sur son visage. Mlle Blind rapporte que, sur la fin, il n’y avait rien de plus étrange que ce vieux couple allant faire sa promenade quotidienne. Lewes ressemblait à « un réfugié polonais pas peigné et pétulant ; » George Eliot, avec sa grosse tête el sa longue figure sur un corps malingre, avait un air de sibylle. Ils marchaient d’un pas pressé, en gesticulant et en causant avec animation. Il me semble voir passer deux vieux farfadets réduits à faire une fin dans la philosophie. Chez eux, aux jours de réception, Lewes gardait sa vivacité, George Eliot avait une attitude grave. Elle restait assise dans son coin, avait le geste rare et lent et parlait presque bas, d’une voix sourde et douce, et avec le langage élaboré d’une élève de miss Rébecca. Courbée vers son interlocuteur, les yeux dans ses yeux, elle s’absorbait au point de ne pas s’apercevoir de l’entrée des visiteurs. La société anglaise s’était à moitié réconciliée avec elle, sa maison était recherchée par beaucoup, sinon par tous, et s’il est vrai, comme on l’a dit, que sa finisse position avait fini par lui peser, ce ne fut pas au point de détruire son bonheur. Elle était admirablement sincère, et son Journal est un témoin irrécusable de son bonheur « intense » et de son attachement inébranlable pour l’homme qu’elle appelait un « mari sublime. »
Toute biographie diminue d’intérêt à mesure que le sujet devient célèbre. Le mot est de George Eliot et très vrai en ce qui la concerne. Pendant les vingt années qui suivirent l’apparition de son premier roman, sa vie fut unie, sans autres événemens que l’enfantement de ses ouvrages et de nombreux voyages sur le continent. A la vérité, ses idées subissaient une nouvelle évolution, car son esprit était de ceux à qui l’immobilité est impossible, mais le travail s’accomplissait à présent sans la fougue d’autrefois, presque avec sérénité. Elle était tombée sous l’influence d’Auguste Comte : « Il a illuminé ma vie, » disait-elle avec reconnaissance à propos de la Politique positive. — Les disciples de Comte n’ont jamais regardé George Eliot comme un des leurs ; elle rejetait une trop grande partie du système pour appartenir à l’école ; mais elle prenait part au mouvement positiviste, et ce fut en faveur de Comte qu’elle renonça à l’indépendance intellectuelle qui avait