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à faire des hypothèses sur les conditions organiques de la mémoire, et c’est un des partisans mêmes de la physiologie, Lewes, qui a dit excellemment : « Beaucoup de ce qui passe pour une explication physiologique des faits mentaux est simplement la traduction de ces faits en termes de physiologie hypothétique. » Mais supposons, au contraire, que le physiologiste connût parfaitement toutes les conditions organiques, tous les mouvemens cérébraux qui correspondent au souvenir : en serait-il plus près de comprendre la sensation même, l’émotion, clément de la conscience et du souvenir ? Non, car toutes les conditions physiques de la sensation ne nous rendent pas raison de la sensation, par exemple de ce que nous éprouvons en sentant une brûlure, en voyant une couleur, en entendant un son. L’élément irréductible à l’analyse, c’est donc la sensation : le mental ne peut se ramener au mécanique. C’est, au contraire, le mécanique qui se ramène au mental, car le mécanique n’est lui-même qu’un extrait des sensations de mouvement et de résistance. L’automatisme est un mode d’action et de réaction entre des élémens dont nous ne pouvons nous figurer la nature intime que sous des formes empruntées à notre conscience, et les lois mêmes du mécanisme, après tout, sont encore un emprunt à la conscience, à la pensée. Dès lors, nous consentons bien à dire avec les mécanistes : « Il n’y a rien dans la conscience et dans la mémoire qui ne soit un changement de sensations explicable par les lois des changemens mécaniques ; » mais nous ajoutons : Rien, excepté la sensation même.

Ces conclusions sur la nature essentielle de la mémoire nous permettent de marquer les divers stades de son évolution dans le passé et même dans l’avenir.

Au premier moment, nous l’avons vu, une émotion quelconque, forte ou faible, provoque un effort moteur. Le mouvement, une fois produit, se creuse mécaniquement un canal dans la masse cérébrale ; par cela même la résistance diminue, et avec la résistance l’émotion agréable ou pénible qui avait été pourtant la cause première de tout le reste. Puis, quand la voie est ouverte, la conscience ne sent presque plus que les bords du lit où coule le courant nerveux : la forme intellectuelle tend à remplacer le fond sensible ; c’est le second moment de l’évolution. Nous assistons alors à l’apparition de l’intelligence proprement dite, qui semble coïncider, pour le physiologiste, avec la formation des fibres nerveuses. Ce sont, en effet, les fibres qui établissent des relations entre les diverses cellules ; or l’intelligence porte surtout sur des relations ; elle doit donc avoir pour principal organe ces fibres, ces canaux de communication où le sens intime, se rapprochant de l’état d’indifférence et s’exerçant sur des rapports plutôt que sur des termes, devient