Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépendît des votes des députés coloniaux, assez nombreux pour déplacer la majorité ? Cependant, pour réserver le règlement des affaires anglaises au parlement actuel, il faudrait assimiler celui-ci aux parlemens coloniaux et lui superposer un parlement plénier, auquel on transférerait le droit de trancher les questions de politique extérieure et de décider du sort des ministères. On se trouverait alors sans motif plausible de refuser à l’Irlande la restitution de son parlement particulier ; et l’orgueilleuse assemblée qui siège à Westminster, abdiquant sa souveraineté, descendrait du premier rang au second, et ne serait plus qu’une législature provinciale.

De tels sacrifices ne sauraient être spontanés ; il faudrait qu’ils fussent arrachés à l’orgueil britannique par la plus dure et la plus implacable nécessité. Or, si la pensée de conjurer, par l’établissement d’un système fédératif, le danger d’une dislocation de l’empire a trouvé faveur chez quelques hommes d’état anglais, aux colonies les idées ont pris une autre direction : la partie colonisée de l’Australie comprend cinq provinces, qui ont chacune leur gouvernement, leur parlement et leur législation. Toutes les cinq courent la même fortune, sont exposées aux mêmes dangers, et ont un grand nombre d’intérêts communs ; l’idée devait naturellement leur venir de s’assurer mutuellement assistance par l’établissement d’un lien fédératif. Sur l’initiative du ministère de la colonie de Victoria, des délégués ont été nommés par les divers parlemens et se sont réunis en conférence à Sydney pour examiner la possibilité d’établir une union législative des cinq provinces. La conférence s’est bornée à émettre un vœu platonique en faveur de cette union : elle s’est heurtée, en effet, à un obstacle économique. La Nouvelle-Galles du Sud, qui a un vaste territoire et qui tire un revenu suffisant de la vente des terres publiques, a pu supprimer une partie de son tarif douanier et réduire sensiblement les droits qu’elle a maintenus. La colonie de Victoria, qui a moins de ressources et qui a entrepris de grands travaux d’utilité publique, ne peut se passer du produit de ses douanes : elle est fortement attachée au système protecteur, qui a enfanté sur son territoire plusieurs industries importantes : or, refuser au parlement confédéré le droit de régler les questions de tarifs douaniers et, par conséquent, de déterminer les sources auxquelles s’alimenterait le revenu destiné à pourvoir aux dépenses communes, c’était le dépouiller de la prérogative essentielle de toute législature. Dans ces conditions, l’union projetée ne pouvait donner aucun résultat pratique ; mais l’obstacle qui a empêché de la réaliser n’est pas insurmontable, et la pensée n’en est pas abandonnée. Les Australiens comprennent à merveille que les