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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/208

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ne permet pas à ses adeptes d’être « impressionnistes » ni « tachistes ; » art sérieux qui veut de fortes études, une science profonde, un goût impeccable, la conception la plus élevée et la plus pure de l’idéal. C’est cet art-là qui, peut-être, est l’art supérieur entre tous les arts plastiques, qui donne les jouissances les plus délicates et les plus fortes. Plus ses moyens d’exécution sont simples, plus il est difficile à pratiquer, mais plus aussi il s’approche de la perfection. Et, d’ailleurs, n’est-il pas celui qui laisse les œuvres les plus durables, à la fois immortelles et éternelles ?

Apelle a couvert la Grèce et la Sicile de tableaux dont l’histoire ne nous a conservé que les titres. Phidias, en sculptant les frises du Parthénon, a travaillé pour l’éternité.

Hélas ! on voit déjà les peintures modernes s’effriter, se ternir, s’alourdir, comme les paysages de Troyon, ou couler sur le parquet comme le radeau de la Méduse, et l’on peut prévoir le temps où, de toute l’école de peinture moderne, il ne restera plus que des toiles noircies et incompréhensibles. Les tableaux fuient par les interstices des cadres et se fendillent comme de vieilles peaux de serpent. Derrière le Cherubini d’Ingres, trois Muses indécises et superposées étendent un triple bras qui tient une demi-douzaine de couronnes. Sur le même carré de toile, les déesses se multiplient et s’effacent. Le mercantilisme contemporain a fourni aux artistes des couleurs avariées et frelatées qui ne tiennent point sur la toile et dont l’éclat s’efface avec les années.

L’art moderne risque de n’être qu’une apparition, une sorte d’épanouissement éphémère qui ne laissera après lui qu’un grand souvenir. Il a fleuri et déjà il se fane. Les violences s’atténuent, les vivacités s’assombrissent, les clartés s’éteignent tout à coup au milieu des craquelures imprévues. Il ne reste plus de quelques grandes œuvres que des mélanges à peu près informes, déchiffrables seulement pour ceux qui les ont autrefois connues. On revoit ainsi souvent dans la vie, à la suite d’une longue absence ou d’une longue séparation, de certains visages dont les traits s’étaient profondément gravés dans notre mémoire, et, seul alors entre les indifférens qui les regardent à peine, on retrouve, dans leurs yeux demi-clos par l’âge, à travers la pâleur de leurs traits vieillis, cette pureté sereine et cette fleur de jeunesse qui faisaient tressaillir les cœurs. Parfois, cette idée de la disparition vous étreint et vous oppresse ; c’est avec une mélancolie profonde qu’on voit s’effacer et s’anéantir tant de chefs-d’œuvre, une partie de la gloire de notre siècle et de notre France ! On se souvient malgré soi de l’aventure étrange arrivée à un savant illustre lors de ses fouilles à Ninive, quand, suivi par quelques Arabes, il cherchait sous la terre les traces d’une