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elle ne demande donc pas ce que nous appelons la couleur locale et la vérité historique ; pourvu qu’il lui offre de belles lignes et des formes d’une pure et charmante noblesse, elle l’acclame et le porte aux nues. Voilà comment il ne faut s’aviser d’aller chercher une fidèle représentation du monde homérique ni dans les œuvres de la statuaire ni dans les peintures des vases. Si nous voulons considérer ces marbres et ces tableaux comme des documens, ne les consultons que sur les mœurs et le goût de l’époque même qui les a produits ; ils ne savent, ils ne nous apprennent rien du passé. Une comparaison fera mieux comprendre l’erreur que l’on risquerait de commettre en s’ingéniant à trouver dans ces monumens l’image et la physionomie de la Grèce primitive. Michel-Ange et Raphaël se sont inspirés de la Bible et de l’évangile comme Polygnote et Phidias s’inspiraient d’Homère ; les types que leur a suggérés la poésie des légendes hébraïques se sont imposés à l’admiration des hommes par leur beauté merveilleuse et leur rare puissance d’expression. Supposez cependant que, comme historien, vous teniez à vous faire une idée des prophètes juifs ou de Jésus et de ses apôtres, du caractère de leurs traits, du costume qu’ils portaient et du milieu où ils ont vécu, vous viendra-t-il à l’esprit d’aller puiser ces renseignemens dans les figures des maîtres italiens du XVIe siècle, dans celles du plafond de la Sixtine ou des chambres du Vatican ?

Dans l’enquête que s’était proposé d’ouvrir M. Helbig, l’art libre et savant de la Grèce adulte n’était donc pas admis à témoigner ; pour en tenir quelque compte, il aurait fallu multiplier sans cesse les distinctions et les réserves ; le parti le plus sûr, c’était encore de renoncer à le consulter. D’un autre côté, si nous possédons aujourd’hui nombre de monumens qui sont contemporains de l’épopée ou qui même paraissent lui être antérieurs, ces monumens offrent très peu de variété. Les uns sont des restes d’édifices, qui ont en général perdu toute leur décoration ; les autres sont des objets usuels, des vases où l’ornement n’est guère que géométrique, des bijoux et des accessoires de toilette, des ustensiles de tout genre. Les arts du dessin étaient alors dans l’enfance, au moins sur le sol de la Grèce ; ils n’ont donc pas entrepris de représenter les hommes et les choses de leur temps. Dans les couches profondes du terrain, sur l’emplacement de ces vieilles cités qui appartiennent à la poésie plutôt qu’à l’histoire, les Achéens et les Ioniens ont semé les produits de leur industrie et les bribes de leur parure ; mais ils n’ont pas su y déposer leur image, projetée et fixée sur le marbre, le bronze ou l’argile.

A l’époque où, — vers la fin peut-être du Xe siècle, — la poésie grecque atteint, chez les Grecs orientaux, son plein épanouissement,