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des orateurs : lorsqu’ils montaient à la tribune ; Eschine et Démosthène étaient vêtus autrement, mais ils n’étaient pas moins vêtus que le sont aujourd’hui nos sénateurs et nos députés.

Ce qui distingue les vieilles modes ioniennes de celles qui ont prévalu plus tard, après les guerres médiques, ce n’est donc pas que les Grecs, à cette dernière époque, aient rejeté l’usage du vêtement ; il serait étrange que les progrès de la civilisation les eussent ramenés à cette nudité qui caractérise l’état sauvage, nudité que n’aurait d’ailleurs pas permise le climat de la Grèce. La différence n’est pas là ; elle est dans ce fait que l’ancien costume, le seul que représentent les monumens archaïques, est un costume ajusté, que serre aux hanches une large ceinture. Autour du torse, il est tendu par les chairs sur lesquelles il s’applique[1] ; au-dessous de la taille, il tombe droit, par devant, et, chez les femmes, traîne par derrière sur les talons, tout gaufré de petits plis dont le nombre et la rigoureuse symétrie ne s’expliquent pas seulement par la nature du tissu et par la couleur du vêtement ; l’empois et le fer à repasser devaient jouer là leur rôle. Quelques siècles plus tard, le goût n’est plus le même. L’élément principal ou, pour mieux dire, l’élément unique du costume, c’est toujours une pièce d’étoffe, en forme de carré long, que des agrafes et, plus rarement, quelques points de couture permettent de disposer en différentes manières autour du corps ; mais cette pièce a pris plus d’ampleur, et la laine, qui avait les préférences des Doriens, paraît l’avoir emporté, dans tout le monde grec et même à Athènes, sur la toile de lin, dont les Ioniens, à l’époque d’Homère, faisaient aussi un très fréquent usage. Le tissu de laine a bien plus de corps que la toile ; il est plus indépendant des formes qu’il enveloppe ; le mouvement y creuse des sillons plus larges et plus fermes. Cette substitution d’une matière à une autre a dû être pour beaucoup dans le changement qui s’est produit ; on en pourrait encore trouver d’autres raisons, tirées des mœurs qui se sont modifiées, du sens esthétique qui s’est affiné. Quoi qu’il en soit, la draperie s’est affranchie des minuties de l’apprêt ; elle s’est défaite de cet air de gêne et d’étranglement auquel n’échappent guère les costumes plus ou moins collans ; pour les femmes, dans ce beau vêtement que l’on appelle la diploïs ou le diploïdon, pour les deux sexes, dans le manteau, elle joue librement autour du corps, et, suivant qu’elle s’en rapproche ou qu’elle s’en écarte, elle modèle franchement certaines parties de la forme vivante ou elle permet de dissimuler ce que l’on ne veut pas en montrer. La variété est infinie ; chacun met dans son habit quelque chose de lui-même, de son âge, de ses habitudes et de sa

  1. De là l’épithète τανύπεπλος (tanupeplos), souvent appliquées aux femmes.