Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Phéniciens tenaient tant de place, et même avec Sidon, la « ville riche en airain ; » Homère connaît même l’Egypte, au moins de réputation. Ce qui concourt, avec le développement de ces rapports, à indiquer, pour l’Iliade et l’Odyssée, une date plus récente, c’est qu’il est souvent question du fer, dans ces deux poèmes, surtout dans le second ; si les armes étaient encore presque toutes en bronze, on tirait déjà du fer des outils, des haches, des couteaux, des essieux, des socs de charrue ; or on n’a pas trouvé ce métal à Mycènes, dans les tombes de l’Acropole, et les rares objets de fer. qui ont été recueillis au cours des fouilles l’ont été à fleur de sol ou, par leur forme, paraissent appartenir à des temps très postérieurs[1]. Enfin, ce qui est encore plus décisif, on pratiquait à Mycènes un mode de sépulture que l’épopée ignore complètement. Imparfaitement momifiés, les corps y étaient déposés dans de fosses profondes, le visage recouvert d’un masque d’or. Chez les Ioniens d’Homère, on brûle les morts et leurs cendres sont recueillies dans une urne que l’on cache sous un tertre. Une fois répandue dans le monde grec, la pratique de l’incinération y est demeurée en usage jusqu’aux derniers jours de l’antiquité. A lui seul, le fait d’avoir renoncé à l’inhumation du cadavre établit un lien étroit entre la société homérique et la Grèce classique, tandis que l’étrangeté du rite mycénien suggère à l’esprit l’idée d’une époque plus lointaine, d’un peuple qui tient de moins près aux Grecs que nous connaissons par leur littérature et leurs arts.

Frappé de ces différences, l’archéologue en arrive à, se demander s’il faut chercher une tribu grecque, les Achéens par exemple, dans la. riche et puissante tribu qui a bâti les murs de l’Acropole mycénienne et la Porte des Lions, qui a enfoui tant de trésors et des bijoux si singuliers dans les tombes où M. Schliemann a cru retrouver les restes d’Agamemnon, d’Égisthe et de Clytemnestre. La tradition faisait venir de Phrygie et de Lydie les fondateurs de Tirynthe, d’Argos et de Mycènes, cette dynastie des Pélopides qui joue un si grand rôle dans les plus vieux mythes, et l’on a signalé de curieux rapports entre les monumens sculptés dans les rocs de la vallée du Sangarios et ceux de l’Argolide[2]. D’autre part, on avait aussi conservé le souvenir d’établissemens formés dans les Cyclades et sur la côte orientale du Péloponèse par les Lélèges et surtout par les Cariens. Dans les temps historiques, les Lélèges avaient disparu ; quant aux Cariens, ils n’occupent plus qu’une région montagneuse, au sud-ouest de l’Asie-Mineure ; mais nombre de textes

  1. Schliemann, Mycènes, traduction française, p. 142-143 et 222.
  2. Milchœfer, Die Anfräge der Kunst in Griechenland, ch. I.