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On sait que les catholiques sont nombreux en Angleterre et aux États-Unis. Le dogme sur lequel ils s’appuient est exactement le même que celui qu’on enseigne dans nos séminaires. Cependant le ton, l’allure et la méthode du clergé d’outre-mer diffèrent absolument de ce qu’ils sont chez nous. Il abandonne volontiers le terrain brûlant du dogme pour des leçons plus familières, mais plus utiles. Il sait au besoin parler affaires à des gens d’affaires. Il pénètre en expert dans la conscience d’un négociant, et accommode d’une manière merveilleuse les conseils de l’évangile à des opérations qui n’étaient guère connues des contemporains de saint Mathieu. Il ne maudit ni l’esprit d’entreprise ni le désir du mieux ; mais il place le progrès sous l’égide de la religion. D’où provient cet esprit de sage tolérance ? C’est que l’orateur sait qu’il ne serait pas écouté s’il tenait un langage moins énergique, moins précis, moins exactement modelé sur les préoccupations de son auditoire. Il n’est pas défendu d’espérer qu’une révolution analogue se fera dans nos mœurs, que le prêtre perdra un peu de son exaltation théologique, le fidèle de ses rancunes enfantines, et que tous deux se rencontreront à mi-chemin, non plus dans la région des orages, mais sur le terrain pacifié de la morale pratique.


III

L’influence du clergé est celle d’un corps dont les membres sont liés par une forte discipline. Chaque ecclésiastique pris à part est faible : l’ensemble se maintient par la cohésion. Les grands propriétaires sont divisés entre eux. Ils diffèrent d’origine, d’opinion et d’éducation. Où l’un ne voit qu’un accessoire agréable de la vie mondaine, l’autre cherche un instrument pour son ambition. La grande propriété n’est plus une institution politique. Elle ne confère point à son heureux possesseur le droit de juger, d’administrer et de rançonner ses semblables. Mais les mœurs, plus fortes que les lois, attachent encore à la situation territoriale une prérogative insaisissable, la prépondérance. Nos grands domaines ressemblent à ces arbres que la hache du bûcheron épargne dans les coupes réglées : ils tiennent au sol par toutes leurs racines et ils étendent au loin leur ombre sur les arbustes inférieurs. Tant de révolutions qui ont passé sur leur tête et emporté quelques maîtresses branches n’ont pu ébranler leur solide fondement. Ils profitent même des abatis qu’on pratique autour d’eux en recevant à flots l’air et la lumière. Ainsi la grande propriété, participant au progrès de la richesse publique, croît d’importance et de valeur à mesure que le sol se divise autour d’elle.

Dans nos dîners de province, lorsque le vin et la politique délient