parfaitement confondus avec les anciens maîtres du sol. L’œil exercé d’une femme pourrait seul démêler le parvenu sous l’impertinence du faux gentilhomme.
Il subsiste encore, dans un grand nombre de cantons, toute une petite noblesse rurale qui ne parait guère avoir changé depuis la révolution. Beaucoup de biens patrimoniaux ont traversé les orages politiques ou sont rentrés entre les mains de leurs anciens possesseurs. Sans doute, les privilèges ont péri dans le voyage ; mais, à l’exception de quelques redevances plus bizarres qu’utiles, on ne voit pas que ces hobereaux aient perdu grand’chose dans le naufrage du 4 août. Ils n’ont plus le droit exclusif d’élever des pigeons, ce qui était assurément flatteur, mais ils ont encore, avec l’estime publique, un bon abri pour les générations futures. C’est généralement ce qu’on appelle un grand logis, moitié ferme et moitié manoir. Sous l’enduit de plâtre moderne reparaissent les croisillons de pierre et les fines sculptures du XVIe siècle. Même quand le logis est rebâti à neuf, le portail se dresse dans son ancienne majesté et porte dans ses pierres noircies quelques restes de blason à demi effacés sous les saxifrages. Le pigeonnier aussi est encore debout. L’ancienne cour seigneuriale, qu’il domine de son chef branlant, est devenue basse-cour. C’est là que le gentilhomme campagnard, rude d’aspect et de langage, reçoit ses fermiers avec une familiarité qui maintient les distances. Le partage de la recolte se fait sous les yeux du maître : il a le droit de choisir sa part le premier. Il se rendra, comme jadis, au marché sur son cheval maigre. Il chausse volontiers de gros sabots, boit sa piquette, surveille son bien et mène au demeurant une existence assez tolérable. Il n’est pas rare qu’un titre de comte ou de marquis se cache ainsi sous la blouse. Le métayer aime ce propriétaire qui l’aide au besoin et ne le presse pas trop. D’un côté, la simplicité de la vie, de l’autre, la fidélité des souvenirs entretiennent la sympathie et la confiance réciproques.
Au centre de cette région, l’une des plus anciennement cultivées du pays, se dresse une petite ville qui est comme le dernier refuge de cette classe respectable. La ville a gardé sa ceinture de murailles, couvertes de mousse et de ronces, ses douves à l’eau dormante, ses quatre portes flanquées de tours. On conçoit que la petite capitale ait pu longtemps se suffire à elle-même, dans le domaine que la nature et l’histoire lui avaient tracé. Si jamais quelque invasion de barbares rompait les routes et brisait les communications administratives, elle renaîtrait dans son ancienne indépendance, ainsi qu’un rejeton vigoureux détaché de la souche nationale. Les jours de fête, elle secoue sa torpeur et s’emplit de