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nouveau Brunehild. Entre le héros et la Walkyrie, il y a comme un accord mystérieux, une tendresse fatale qui finit par les ressaisir. L’enchantement du philtre est rompu sans retour et l’amour voulu par les dieux finit par triompher des fraudes humaines. Mais Gunther poignarde Sigurd, et Brunehild expire sur le cadavre de son sauveur. Tous les deux sont enlevés au ciel d’Odin, où ne finiront jamais leurs surnaturelles amours. Ces amours ne nous touchent guère. Il y a de la poésie, mais peu d’intérêt dramatique dans le livret de Sigurd. Il n’est rien moins que « vécu, » comme on dit aujourd’hui ; à peine est-il vivant. Les personnages sont froids et la fable languissante.

C’est un vaste cadre qu’un grand opéra français. Disons tout de suite que M. Reyer le remplit sans effort. Partout il a tâché de faire grand, et plus d’une fois il y a réussi. Toujours sérieuse, noble parfois, son œuvre a bien les proportions et le style de l’opéra. Elle pécherait plutôt par excès que par défaut : elle est un peu dense, un peu touffue. Il faut sous bois des percées et des clairières, de l’air et du jour. Il y a partout des échappées lumineuses, des souilles qui rafraîchissent et qui délassent. Si l’ensemble a quelque lourdeur, quelque monotonie, plus d’une belle page s’en détache. Et puis, cette œuvre d’une inspiration inégale est d’un effort soutenu ; elle est consciencieuse et de bonne foi. Si l’on peut ça et là lui marchander l’admiration, partout elle force l’estime.

Après une ouverture où s’exposent quelques-unes des mélodies capitales, et que, pour cela même, on n’eût pas dû supprimer à la représentation, le premier acte débute par un agréable chœur de femmes. La phrase de la nourrice interrogeant Hilda est caressante, doucement posée sur un accompagnement où s’esquisse un chant d’amour que Sigurd redira plus tard. L’air qui suit vaut mieux encore : il a de la couleur. Mlle Richard le chante de sa voix généreuse, peut-être avec un peu trop d’emportement. Le reste du premier acte est lourd. Bien traités, d’ailleurs, tous ces chœurs de guerre ou de chasse sont un peu épais, un peu gros. Il le fallait, dira-t-on : nous sommes chez les barbares. Mais, en dépit des framées, des sayons de peau d’ours, malgré les libations d’hydromel dans les hanaps d’or et tout le fracas des armures, ce premier acte manque précisément de saveur barbare et de cette rudesse grandiose qui se rencontre parfois dans les Burgraves de Victor Hugo. Ancêtres de ces burgraves, les héros de M. Reyer devraient être au moins de stature aussi héroïque que leurs descendans.

Si le premier acte de Sigurd fait regretter la poésie de Victor Hugo, le second rappelle, et, cette fois, presque en l’égalant, une autre poésie : celle de Chateaubriand dans l’épisode de Velléda. Seule, la prêtresse manque avec sa faucille d’or : les ministres d’Odin sont assemblés,