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begs. C’est encore une des particularités du costume national. Les potiers n’ont que des produits très grossiers, mais souvent la forme est belle et le décor d’un effet extrêmement original. Ils font beaucoup de têtes de tchibouques en terre rouge. Les pelletiers sont bien achalandés. Comme l’hiver est long et froid, jusqu’à 15 et 16 degrés sous zéro, les Bosniaques ont tous des caftans ou des vestes doublés et garnis de fourrure. Les paysans n’ont que de la peau de mouton, qu’ils préparent eux-mêmes. On abat dans les forêts de la province 50 à 60,000 animaux à fourrure; mais, chose étrange, il faut envoyer les peaux en Allemagne pour les préparer.

Les orfèvres ne font que des bijoux grossiers ; les musulmanes riches préfèrent ceux qui viennent de l’étranger, et les femmes des rayas portent des monnaies enfilées, quand elles osent et qu’il leur en reste. Je remarque cependant de jolis objets en filigranes d’argent : coquetiers pour soutenir les petites tasses à café, boucles, bracelets, boutons. Les forgerons font des fers à cheval, qui sont tout simplement un disque avec un trou au milieu. Les serruriers sont peu habiles, mais ils confectionnent cependant des pommeaux et des battans de porte, fixés sur une rosace, d’un dessin arabe très élégant. Depuis que le port des armes est défendu, on n’expose plus en vente ni fusils, ni pistolets, ni yatagans ; je vois seulement des couteaux et des ciseaux niellés et damasquinés avec goût. Pas de marchands de meubles ; il n’en faut pas dans la maison turque, où il n’y a ni table, ni chaise, ni lavabo, ni lit. Le divan, avec ses coussins et ses tapis, tient lieu de tout cela.

Les métiers exercés dans la Tchartsia sont le monopole des musulmans. Chacun d’eux forme une corporation avec ses règlemens qu’on vient de confirmer récemment. L’état social est exactement le même ici qu’au moyen âge, en Occident. A la campagne, règne le régime féodal et dans les villes celui des corporations. Toutes les villes principales de la Bosnie ont leur Tchartsia. On y voit à l’œuvre toutes celles des industries du pays qui ne s’exercent pas à l’intérieur des familles. Celles-ci sont les plus importantes. Elles comprennent la fabrication de tous les tissus : la toile de fin et de chanvre, les diverses étoffes de laine pour vêtement. On fabrique aussi beaucoup de tapis, à couleurs très solides, que les femmes extraient elles-mêmes des plantes tinctoriales du pays. Les dessins en sont simples, les tons harmonieux et le tissu inusable, mais on n’en fait guère pour la vente. Le travail conserve ici son caractère primitif : il est accompli pour satisfaire les besoins de celui qui l’exécute, non en vue de l’échange et de la clientèle.

Dans certaines rues de la Tchartsia, des femmes musulmanes sont assises à terre. Le yachmak cache leur visage, et leur corps disparaît sous les amples plis du feredjé. Elles paraissent très pauvres.