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On me demande pour un dindon 3 1/2 florins, plus de 8 francs : c’est cher dans un pays primitif. Ici, comme dans tout l’Orient, le mouton fournit presque exclusivement la viande de boucherie. Des Bulgares vendent des légumes, qu’ils viennent cultiver, chaque printemps, dans des terres qu’ils louent. Je vois vendre aux enchères et adjuger un cheval avec son bat pour 15 florins ou 30 francs environ. Il est vrai que c’est une pauvre vieille bête, maigre et blessée. Tous les transports se font à dos de bête de somme, même sur les routes nouvellement construites. La charrette était inconnue, sauf dans la Pozavina, ce district du nord-est, borné par la Save et la Serbie, le seul où il y ait des plaines un peu étendues. Sur le marché, les chevaux apportent le bois à brûler. Quand le poulain a été soumis au bât, il ne le quitte plus jusqu’à sa mort, ni dans l’écurie, ni au pâturage.

Je traverse le Bezestan : c’est le Bazar. Il ressemble à tous ceux de l’Orient : longue galerie voûtée, avec des niches à droite et à gauche, où les marchands étalent leurs marchandises. Mais toutes viennent d’Autriche, même les étoffes et les pantoufles en velours brodées d’or, genre Constantinople. Près de là je visite la mosquée d’Usref-Beg. C’est la principale de la ville, qui en compte, dit-on, plus de quatre-vingts. Un mur l’entoure, mais des arcades fermées par un grillage en entrelacs permettent aux passans de voir le lieu saint. Une grande cour la précède. Au milieu s’élève une fontaine que couvre de son feuillage un arbre immense, dont les branches dessinent des ombres mobiles sur le pavé de marbre blanc. Cette fontaine se compose d’un bassin surélevé, protégé par un treillis forgé, d’où neuf bouches projettent l’eau dans une vasque inférieure. Au-dessus s’arrondit une coupole soutenue par des colonnes entre lesquelles est établi un banc circulaire. Je m’y assieds. Il est près de midi. La fraîcheur est délicieuse ; l’eau qui jaillit et retombe fait un doux murmure, qu’accompagne le roucoulement des palombes. Des musulmans font leurs ablutions avant d’entrer dans la mosquée. Ils se lavent avec le soin le plus consciencieux les pieds, les mains et les bras jusqu’aux coudes, la figure, et surtout le nez, les oreilles et le cou. D’autres sont assis à côté de moi, faisant passer entre leurs doigts les baies de leur chapelet et récitant des versets du Koran en élevant et laissant alternativement tomber la voix et en inclinant la tête de droite à gauche, en mesure. Le sentiment religieux s’empare des vrais croyans de l’islam avec une force sans pareille; il les transporte dans un monde supérieur. N’importe où ils se trouvent, ils accomplissent les prescriptions du rituel sans s’inquiéter de ceux qui les environnent. Jamais je n’ai mieux senti la puissance et l’élévation du mahométisme.

La mosquée est précédée par une galerie, que supportent de belles