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Moreau se fût défendu jusqu’à la dernière extrémité. Mais la proposition des parlementaires était faite pour porter le trouble dans l’esprit de Moreau en lui permettant de peser, au point de vue de l’intérêt de la France, les avantages fort douteux d’une défense sans espoir, et les avantages certains d’une capitulation immédiate. Sous deux jours, sous trois jours au plus, Soissons allait fatalement être enlevé d’assaut; ceux des défenseurs qui n’auraient pas succombé seraient prisonniers. N’était-il pas préférable d’abandonner cette place perdue d’avance et de conserver à l’empereur 1,000 hommes d’excellentes troupes qui lui seraient si utiles? La conscience du commandant de Soissons commençait à fléchir devant cette idée qui n’était que le plus vain des sophismes. Dans une place assiégée, le devoir, pour le gouverneur comme pour le dernier soldat, se réduit à ce seul mot : la consigne. Moreau avait été envoyé à Soissons pour garder la ville, point stratégique, et non pour conserver aux armées d’opération une poignée de soldats. Sa consigne était de défendre Soissons, il n’avait pas à la discuter avec lui-même ; il avait à l’exécuter rigoureusement, dans les termes mêmes des règlemens, c’est-à-dire en « épuisant tous les moyens de défense, » en « restant sourd aux nouvelles communiquées par l’ennemi » et « en résistant à ses insinuations comme à ses attaques. » Le canon entendu au loin dans la journée devait inspirer au gouverneur de Soissons les résolutions les plus énergiques. Il semblait vraiment que l’écho de cette canonnade fut venu juste à point pour rappeler au général ces paroles, prophétiques en la circonstance, du décret de 1811 sur le service des places : « Le gouverneur d’une place de guerre doit se souvenir qu’il défend l’un des boulevards de notre royaume, l’un des points d’appui de nos armées, et que sa reddition, avancée ou retardée d’un seul jour, peut être de la plus grande conséquence pour la défense de l’état et le salut de l’armée. »

Quand un soldat commence à se demander quel est son devoir, il est bien près de n’écouter plus que son intérêt. Moreau était brave sans doute, — sous l’empire on ne parvenait point aux grades élevés sans avoir maintes fois payé de sa personne, — mais il n’était pas héroïque, et son esprit concevait avec peine l’idée de se sacrifier inutilement pour une cause qu’avec beaucoup de généraux d’alors, il regardait comme perdue. Une capitulation si honorable, qui sauvait la ville des horreurs d’un sac et qui conservait à l’empereur une troupe valeureuse, convenait à l’intérêt personnel de Moreau sans porter atteinte, pensait-il, à son honneur de soldat. Donc, le général congédia les parlementaires tout en protestant qu’il s’ensevelirait sous les ruines de la ville, mais en ajoutant que «d’ailleurs il ne pouvait répondre à des propositions verbales faites par des officiers