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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/600

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dieux. Ils prétendaient en descendre et quelquefois lutter avec eux pour mieux les égaler. Ils identifièrent l’idée de la divinité avec celle de la lumière. Leurs Dévas signifiaient les lumineux et sont les ancêtres de tout le panthéon persan, hellénique et Scandinave. Par les livres sacrés de l’Inde on apercevait ainsi le rayonnement des races, la filiation des religions, la patrie première. Était-ce à ce berceau doré de lumière, à cet Éden à jamais perdu que remontaient les vagues ressouvenirs des traditions populaires, les rêves effacés d’âge d’or, de félicité hyperboréenne ? Était-ce de là qu’elles étaient parties, les divines espérances, pour leur interminable voyage à travers les misères de l’humanité ? S’étaient-elles séparées pour un éternel adieu ou pour quelque lointain et mystérieux revoir ? — Emporté dans cette course éblouissante par-dessus les peuples et les âges, l’esprit moderne ressemblait au roi Douchanta revenant des hautes demeures du ciel sur le char d’Indra par la route des airs. Les roues reluisent de rosée ; les chevaux fougueux, enveloppés d’éclairs, fendent les nuées épaisses. Mais enfin les cimes des montagnes émergent des couches de brume et ruissellent d’or au soleil couchant ; les fleuves se dessinent dans les profondeurs ; le continent s’étale jusqu’à l’océan, et le roi dit à son guide : « Vois-tu ! la terre se lève vers moi. Il me semble qu’on me l’apporte comme un présent. »

Héritière directe des Aryas primitifs, l’Inde avait donc pris place à l’origine de tout notre développement philosophique et littéraire. Mais personne ne supposait alors qu’on y retrouverait aussi la source de cet autre grand courant d’idées et de sentimens, j’entends de cette charité attendrie, de ce spiritualisme ascétique, de ce mysticisme transcendant que nous tenons du christianisme. Les sous-courans magnétiques de l’histoire résultent de l’action réciproque de deux pôles de l’esprit humain : le pôle sensualiste et philosophique ; le pôle spirituel et religieux. On avait pris l’habitude de placer le premier en Grèce et le second en Judée. On devait les retrouver tous les deux dans l’Inde. C’est surtout le premier qu’on avait senti dans le védisme et le brahmanisme ; la découverte du bouddhisme fit connaître la présence du second à un singulier degré d’intensité. Lorsque, au xiiie siècle, Marco Polo avait rapporté pour la première fois, de Ceylan en Europe, la légende du Bouddha, il n’avait vu dans le grand réformateur qu’un fils de roi qui s’était fait ermite. Il disait de lui simplement et naïvement : « S’il eût été chrétien, il serait un grand saint avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, à la bonne vie et honnête qu’il mena[1]. » Mais, lorsque, en 1821, l’Anglais Hodgson découvrit, dans les monastères du Népal, les

  1. Le livre de Marco Polo, traduit par M. G. Pauthier.