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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/767

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déjà légendaire dans les deux armées ; les Turcs l’avaient surnommé le roi bleu, à cause d’un justaucorps bleu de ciel qu’il portait au feu et qu’on voyait toujours au plus fort de la mêlée. Mais ces rares qualités étaient accompagnées de défauts qui devaient en paralyser les effets. Impropre à tout travail sérieux, il était aussi indécis au conseil que prompt à l’action ; avide de gloire et dévoré d’ambitions généreuses, il avait la manie des grandes conceptions politiques et militaires, sans l’esprit de suite et l’application soutenue qui les font réussir ; par-dessus tout, il avait le goût des plaisirs et ne savait pas les sacrifier à ses devoirs. Deux idées fixes occupaient son esprit : il voulait commander de grandes armées et régner sur les Pays-Bas. Cette double ambition a pesé sur toute sa vie ; elle a inspiré l’héroïsme militaire qui l’a illustré et les fautes de conduite qui l’ont perdu. C’est en flattant ces deux passions que l’Autriche l’avait attiré à elle et qu’elle sut le garder pendant vingt ans, malgré l’éducation toute française qu’il avait reçue, malgré les traditions prudentes de son père et les intérêts évidens de sa maison. Son père, l’électeur Ferdinand-Marie, était un esprit sage, mesuré, prévoyant, qui avait réussi à maintenir sa neutralité, tout en s’assurant, du côté de la France, des subsides importans dans le présent et de secrets avantages pour l’avenir. Sa mère, Adélaïde de Savoie, était Française d’instinct; elle avait confié son éducation à un Français, le marquis de Beauvau, et l’avait entouré de compagnons venus de son pays natal. On parlait français ou italien dans l’intimité de Max-Emmanuel ; lui-même écrivait en français toute sa correspondance personnelle. Pour l’arracher à ces influences, l’Autriche n’eut besoin que de lui montrer des commandemens à exercer en Hongrie et à lui faire entrevoir la cession éventuelle des Pays-Bas dans le futur règlement de la succession d’Espagne ; une fois enrôlé dans le parti impérial, il y avait été bientôt fixé par la fraternité des champs de bataille, par la gloire acquise en commun, par toutes les satisfactions et les illusions de la vanité, par les secrètes influences de la galanterie, par le réveil de ses sentimens germaniques : l’en tirer n’était pas une tâche facile.

Villars avait l’ordre de la tenter.

Il se présenta chez l’électeur le lendemain de son retour et, dès l’abord, il lui plut : sa manière ouverte et cavalière, l’accent avec lequel il lui parla de la guerre et de la gloire frappèrent le soldat ; une intimité complète s’établit aussitôt entre eux, et Villars fit si bien qu’en moins de huit jours, admis chez Max-Emmanuel à toute heure, il recevait ses confidences galantes et avait été invité à l’accompagner à Munich, puis à la prochaine campagne de Hongrie.

Entre ces deux hommes, le prince et l’officier de fortune, il y avait