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moins immédiate de l’antiquité ; et l’art chrétien n’avait point trouvé jusque-là une expression qui lui fût propre, qui traduisît fidèlement ses aspirations et son esprit. Cependant, ainsi que M. de Humboldt le remarque dans une esquisse très largement tracée de l’histoire du paysage, les Pères de l’église avaient de bonne heure manifesté un profond amour de la nature. Saint Basile, saint Grégoire de Nysse et saint Chrysostome ne négligent aucune occasion de proclamer l’infériorité de l’art des hommes comparé à l’œuvre de Dieu. Le sentiment qui poussait saint Antoine, saint Jérôme, saint Pacôme à fuir la corruption des villes pour mener loin d’elles une vie de prières et de mortification devait aussi contribuer à développer en eux cet amour de la nature. Retirés au fond des déserts ou des forêts, ils y trouvaient des impressions que le monde n’avait pas encore connues. Le mysticisme, exalté par la solitude dans leurs âmes ardentes, les amenait à faire de la nature leur confidente, à chercher en elle l’écho de leurs pensées intimes. D’âge en âge, une poétique nouvelle se formait ainsi, à laquelle chacun de ces contemplatifs, suivant son tempérament particulier, ajoutait quelques traits nouveaux et prêtait une signification symbolique tour à tour éloquente ou subtile. On sait avec quel charme et quelle ingénuité la tendre piété d’un saint François s’épanchait dans la nature entière et associait familièrement les plantes et les plus humbles créatures à ses élans d’adoration.

Dans le Nord, où le climat plus rude oppose à l’homme des difficultés plus grandes, le bienfait des défrichemens et des cultures auxquels certains ordres s’étaient voués devait être particulièrement apprécié. Choisissant, pour y établir leur retraite, les contrées les plus sauvages, les disciples de saint Benoît et de saint Bruno se trouvaient mêlés de plus près à la nature. Ils apprenaient à la mieux observer dans cette lutte opiniâtre qu’ils avaient à soutenir pour triompher de ses résistances, et le jour allait venir où ils lui feraient dans l’art la place qu’elle tenait dans leur activité et leurs préoccupations. Vers la fin du XIIe siècle, les architectes clunisiens, les premiers, commencèrent à tirer de la végétation qui les entourait les élémens d’une décoration qui assure aux édifices ogivaux construits par eux un caractère marqué d’originalité. Ces plantes, dont ils étaient à même de suivre, dans les champs ou les bois voisins de leurs couvens, le complet développement, leur fournissaient une richesse inépuisable de modèles. En les voyant éclore et s’épanouir, ils pouvaient étudier, aux diverses époques de leur croissance, celles qui se prêtent le mieux à jouer un rôle décoratif. Timidement d’abord, ils associèrent leurs formes flexibles et variées à la rigidité des formes géométriques, et, trouvant dans cette opposition des contrastes heureux, ils reconnurent bien vite