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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/829

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horizon qu’on entrevoit à côté du sanctuaire où cette famille patriarcale est réunie, ajoute un charme pénétrant à l’impression de calme et de recueillement qui se dégage de cette belle œuvre. Une autre famille presque aussi nombreuse, celle des pieux donateurs représentés, avec leurs seize enfans, sur les volets d’un grand triptyque du musée de Bruges, le beau portrait d’homme du Stœdel’s-Institut de Francfort et le Martin Van Nieuwenhove de l’hôpital Saint-Jean, une des productions les plus accomplies du maître, trouvent un complément pareil de grâce et de poésie dans les paysages variés au milieu desquels l’artiste les a placés.

Cette intervention de la nature à côté de la figure humaine était donc tout à fait conforme aux vraies conditions de l’art, et Memling ne faisait d’ailleurs que reprendre à cet égard les traditions des maîtres primitifs. Il était moins bien inspiré quand, à leur exemple encore, il revenait à des pratiques dont, avec leur ferme bon sens et la notion plus exacte qu’ils se faisaient des lois de la composition, les Van Eyck s’étaient affranchis. Au lieu de se borner, comme eux, à la représentation d’un seul sujet en un même moment et dans un même lieu, Memling réunit le plus souvent sur un même panneau le cycle complet d’une légende ou d’une vie, avec les épisodes successifs qui s’y rapportent. Soit que, dans le Saint Jean à Patmos, il veuille peindre la contrée étrange où s’est retiré le solitaire et les visions fantastiques dont l’Apocalypse lui a fourni les motifs ; soit que, dans un autre triptyque daté de la même année (1479), et qui appartient également à l’hôpital Saint-Jean, il se contente d’emprunter aux rues silencieuses de la ville de Bruges et aux paisibles campagnes qui l’avoisinent les fonds de l’Adoration des mages ou de la Présentation au temple, l’artiste se montre peu soucieux de respecter l’unité de son œuvre. Mais nulle part il n’a enfreint ce principe de l’unité d’une manière plus formelle que dans le remarquable ouvrage connu à la Pinacothèque (no 116 du catalogue) sous la dénomination assez impropre des Sept Joies de la Vierge, et qui, dès 1480, appartenait à la chapelle de la corporation des tanneurs à Bruges ; nulle part aussi, il faut bien le reconnaître, il n’a dissimulé avec plus d’art ce qu’un tel mode de composition avait de défectueux. Dans ce vaste ensemble qui, à la façon des Mystères du moyen âge, embrasse toute la vie du Christ et celle de la Vierge, les divers épisodes se trouvent reliés entre eux et restent cependant distincts, grâce aux ingénieuses dispositions du paysage où ils sont disséminés. Suivant l’importance relative qu’il a cru devoir leur attribuer, Memling place les uns sous les yeux mêmes du spectateur, tandis qu’il échelonne les autres à des plans différens. Chacun d’eux se suffit, mais ils se complètent mutuellement, et l’action chemine ainsi, de l’un à l’autre, à travers la campagne.