parle dans le même sens : « La première fois que je vis Corneille, je le pris pour un marchand de Rouen. Son extérieur n’avait rien qui parlât pour son esprit, et sa conversation était si pesante quelle devenait à charge dès qu’elle durait un peu. » Fontenelle lui-même, son neveu, disait de lui : « Il avait l’air fort simple et fort commun, toujours négligé et peu curieux de son extérieur. » De plus, nous n’avons ici aucun témoignage qui vienne, comme pour La Fontaine, rectifier et contre-balancer ces jugemens. Et cependant j’ai encore peine à croire qu’ils soient absolument vrais. Tous paraissent se rapporter aux dernières années de Corneille ; il était vieux; il était pauvre; il était chagrin. Obligé de travailler sans cesse pour gagner sa vie, et voyant sa gloire et ses succès pâlir de jour en jour, abandonné par le public pour de jeunes rivaux, il dut se négliger de plus en plus. Il voyait peu le monde ; et, comme il arrive toujours, plus il y devenait étranger, plus il était gêné et ennuyé. Quand on s’ennuie, on ennuie les autres, et c’est une réciproque inévitable. Le travail continu et forcé développe les facultés dans un seul sens et les atrophie dans tous les autres. Les raffinés comme La Bruyère, les gens de cour, les hommes de lettres en faveur pouvaient trouver Corneille lourd et fastidieux, il ne s’en souciait guère ; et, quand on lui faisait remarquer les défauts de sa mise ou la lourdeur de sa conversation, il répondait en souriant et avec un juste orgueil : « Je n’en suis pas moins Pierre Corneille. » Tout cela peut donc être vrai du Corneille des derniers temps. Mais que Corneille jeune et dans tout son éclat, au temps du Cid et de Cinna, non chez les grands, mais dans sa famille et avec ses amis, dans sa maison de Petit-Couronne, aux bords de la Seine, n’ait pas eu alors des momens de gaîté et de grâce, des mots généreux dignes de Rodrigue, je ne puis le croire. Si j’en juge d’après les Examens de ses tragédies, il me semble qu’il devait parler avec naïveté et avec force de ses drames, en expliquer négligemment et finement le fort et le faible, relever ironiquement les sottes critiques et parler de son propre génie avec simplicité et fierté. S’il a dit plus tard qu’il ne jugeait de la valeur de ses pièces que par l’argent qu’elles lui rapportaient, c’est le mot d’un vieillard usé par la vie et désenchanté de la gloire; mais ses admirables Examens prouvent bien qu’il avait conscience de la beauté de ses œuvres et souvent de leurs défauts ; et aujourd’hui encore, de savans critiques pourraient s’instruire à son école. Quoi qu’en dise La Bruyère, heureux ceux qui ont pu jouir de l’intimité de Corneille jeune et glorieux, dans toute la fraîcheur de son talent, dans toute la verdeur et la candeur de son génie !
Voici encore un portrait dont l’original est certain, car il s’y est reconnu lui-même et il s’en est trouvé flatté, quoiqu’il n’y ait pas