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populaire vis-à-vis d’une institution qui a été cependant créée pour elle, on en pourrait trouver plusieurs. D’abord ce fait que l’existence même de la caisse est inconnue de la plupart des travailleurs, l’état ne se montrant pas au point de vue de la publicité qu’il sait donner à ses opérations un meilleur assureur contre la vieillesse que contre les accidens, fort heureusement pour lui du reste ; ensuite peut-être le luxe des formalités administratives qui viennent compliquer le versement et, par les déplacemens que ce versement nécessite, le rendre encore plus onéreux. Avant de se rendre au chef-lieu du département ou de l’arrondissement, d’abord pour opérer ses versemens à la recette générale ou particulière, puis ensuite pour faire viser son reçu à la préfecture ou à la sous-préfecture, l’ouvrier y regardera à deux fois, car il pourrait bien se faire que les dépenses du voyage absorbassent une bonne partie de la somme qu’il entend verser. Enfin, la nécessité de produire, chaque fois qu’il touche ses arrérages, un certificat de vie, délivré par un notaire, doit, assurément achever de le détourner. Mais ce qui décourage surtout le travailleur de verser à la caisse de la vieillesse sa contribution annuelle, c’est la comparaison de l’effort qu’il lui faudra faire avec le résultat lointain qu’il en peut espérer. S’il avait la prévoyance de commencer ses versemens à vingt ans et de les poursuivre sans interruption jusqu’à cinquante ans, il pourrait, par un versement de 195 francs par an, s’assurer une rente viagère de 1,485 francs, ce qui est assurément très beau. Mais combien y a-t-il d’ouvriers de vingt ans qui soient assez prévoyans pour penser à la vieillesse ? Combien y en a-t-il qui soient en état de mettre de côté 195 francs par an ? S’il ne commence ses versemens qu’à trente ans, c’est 430 francs qu’il lui faudra verser. Mettons que, bornant son ambition à une rente de 500 francs, il limite son versement à 300 francs environ, ne sera-t-il pas encore détourné de cet acte de prévoyance par la pensée que le capital ainsi versé est aliéné par lui à tout j’armais, et que, s’il se trouve aux prises avec quelque besoin imprévu, il ne pourra pas en récupérer tout ou partie pour y faire face ? enfin que s’il vient à mourir avant l’âge, ce capital sera complètement perdu pour ses héritiers, à moins qu’il n’ait contracté une assurance avec capital réservé, en payant, il est vrai, une prime beaucoup plus forte ? N’est-il pas naturel, légitime même, qu’il préfère garder par devers lui ses économies, les verser à la caisse d’épargne, où il les conserve sous sa main avec l’espérance de les en retirer un jour ou l’autre pour en faire un emploi fructueux ? Pour lui, s’assurer à la caisse de la vieillesse, c’est renoncer à la chance. Or quel est celui qui dans sa vie veut renoncer à la chance ? Dans le développement qu’ont pris, depuis quelques années, les opérations de cette caisse, il faut donc bien se garder de voir un progrès de la