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de ce ciel, un cocotier, monté sur sa tige longue, tordait ses grandes plumes échevelées...

Cela, c’est une tristesse, un bruissement, particuliers aux plages d’Océanie, — et il me vint, pendant un autre instant rapide, le ressouvenir poignant de mille choses tahitiennes, déjà oubliées, hélas! — effacées... Je me relevai, me demandant : Est-ce que je suis là?..

— Mais non, mes yeux rencontrèrent le haut de ce petit mur, qui m’avait rappelé les villages de France : je vis qu’il était festonné étrangement, tout hérissé de cornes et de griffes, de formes baroques et mystérieuses, rongées par le temps ; — et un monstre de porcelaine, perché sur le rebord du toit, me regardait avec un rictus chinois...

La Chine! la lointaine Chine! j’y étais donc! — C’est dans quelque recoin perdu de la grande terre céleste, que je dormais là, tranquille, de ce sommeil d’été...

Oh ! alors j’eus un regret déchirant de nos beaux étés de France, de ces belles années, les dernières peut-être de ma jeunesse, qui vont être consumées ici loin de tout ce que j’aime, de tout ce que j’ai aimé.


... Endormi près de la vieille pagode, déjà familière, qui est là, isolée dans l’île verte, et où les pêcheurs viennent prier Bouddha de remplir leurs filets. — Et sans même ouvrir les yeux, je retrouve dans ma mémoire la grande baie aux montagnes sombres qui renferme cet îlot vert ; et aussi l’intérieur de cette pagode des bois, avec ses idoles, ses trois ou quatre petits monstres, vieux gnomes pleins de salpêtre,. qui sommeillent là dans l’humide obscurité.

Comment y suis-je venu, dans ce pays de Tourane, au bord de la mer de Chine?.. Et quand sortirai-je de cet exil?..

Je me rappelle à présent... Cela s’est fait très vite : un ordre de départ arrivé comme un coup de foudre, un beau jour de printemps. Il y avait la guerre par ici, et vite il a fallu tout quitter, aller s’embarquer à Brest, partir sans regarder derrière. Après une semaine agitée, de préparatifs, d’adieux, arriva le jour de l’appareillage ; on fit à bord le grand appel solennel des départs, tandis que les côtes bretonnes s’effaçaient derrière nous dans les lointains infinis.


Puis la mer devint plus bleue, le ciel plus limpide, le soleil plus chaud ; et l’Algérie apparut, et, comme toujours, m’enivra.

Très courte, très fugitive, cette relâche à Alger, avant l’enfer jaune d’Asie.

Ce charme algérien, il est fait pour moi de mille souvenirs d’une époque passée de mon existence ; et puis de senteurs d’Afrique, de