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de l’Odjak d’Alger[1], » on se rappelle involontairement Surcouf montant à l’assaut d’un des vaisseaux de la compagnie des Indes. En voyant approcher les trois corsaires, — les fils de Yakoub s’étaient associé pour cette croisière un compagnon, — le galion lâche sur eux toute sa bordée. Pas un coup, hélas ! ne porte : l’émotion des chrétiens nuit à la justesse de leur tir. Les corsaires ripostent par une volée de flèches. Sept fois, ils essaient de jeter les grappins ; sept fois ils sont repoussés. La nuit vient interrompre le combat. Au jour, nouvelle attaque, et, cette fois, attaque couronnée de succès. On l’a dit bien souvent : « La victoire appartient aux plus entêtés. » Aroudj est grièvement blessé ; Khaïr-ed-din, sabre en main, envahit le pont ennemi : le galion reste enfin au pouvoir des musulmans.

Quelle rentrée victorieuse dans le port de Tunis ! Quelle pompe dans le cortège qui va, fidèle au traité conclu, déposer aux pieds du sultan la part qui lui revient de l’opulent butin ! Les esclaves chrétiens défilent deux à deux ; chacun conduit en laisse un dogue ou un lévrier. Le chien n’est-il pas pour les sectateurs de Mahomet l’emblème de l’infidèle ? Quatre-vingts musulmans, le faucon au poing, comme il convient à de vrais croyans, s’avancent derrière ces captifs, au son d’une musique guerrière ; quatre jeunes vierges chrétiennes montées sur des mules, deux autres, de plus illustre naissance, montées sur des chevaux arabes somptueusement caparaçonnés, ferment la marche et promettent de magnifiques recrues au harem. Le sultan de Tunis ne cherche point à cacher sa joie et son admiration : — « Voilà, s’écrie-t-il à diverses reprises, comment le ciel récompense la bravoure ! » — Partir de Naples pour se rendre en Espagne et aller finir ses jours dans quelque bagne barbaresque, voir sa femme, ses filles, tomber aux mains d’un immonde mécréant’ était un accident qu’il fallait toujours prévoir quand on osait passer à portée de ces repaires africains réputés jusqu’en 1830 inexpugnables. Et il s’est trouvé des politiques assez jaloux et assez égoïstes pour nous reprocher la conquête d’Alger !


III

En l’année 1514, Aroudj et Khaïr-ed-din étaient maîtres de Gigelli ; ils n’allaient pas tarder à fonder un établissement plus solide encore dans Alger : à la même époque, Doria ne possédait pour tout bien que les équipages de quatre galères ; il avait alors quarante-huit ans. Khaïr-ed-din devait, si la chronologie arabe mérite quelque créance, en avoir de quarante-neuf à cinquante. Les

  1. Histoire des deux Barberousse, par Ranc et Ferdinand Denis.