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il est vrai, sur le parti qui, de tout temps, posséda ses sympathies secrètes : à Gênes, notamment, ils favorisaient la noblesse. Doria pouvait-il cependant transporter brusquement sa fidélité de la maison d’Aragon à la maison de France, héritière des prétentions de la maison d’Anjou ? C’était là une de ces déterminations dont la conscience facile du XVIe siècle s’accommodait assez aisément : l’âme de Doria, disons-le à sa louange, n’était pas encore mûre pour de semblables conversions. Doria préféra momentanément s’éloigner. Il partit pour Jérusalem, visita les lieux saints et y eût probablement prolongé son séjour si la nouvelle de la retraite précipitée de Charles VIII ne lui eût laissé entrevoir la possibilité de rentrer honorablement dans la lice. Le fils d’Alphonse II, Ferdinand, cherchait alors à recouvrer son royaume par les armes ; Gonzalve de Cordoue, le grand capitaine, accouru de Sicile avec quelques milliers de soldats espagnols, l’assistait puissamment de sa vaillante épée. Maître de Naples, Gonzalve occupa bientôt tout le pays compris entre Naples et le Garigliano. La cause de l’Aragon, grâce à lui, triomphait. Qui, plus que Doria, aurait dû s’en réjouir ? Doria n’était-il pas fondé à revendiquer sa place sous le drapeau qu’il refusait si généreusement de déserter lorsque tous autour de lui l’abandonnaient ? La conduite que tint, en cette circonstance, le descendant appauvri des châtelains d’Oneille est digne, à mon avis, d’une certaine attention. Cette conduite me parait avoir été inspirée à Doria par les sentimens qui vont désormais dominer toute sa vie, sentimens qu’on peut, sans exagération, appeler à une époque où le nom pas plus que la chose n’aurait été compris, le patriotisme italien.

Jean de La Rovère, prince de Sinigaglia, ne voyait pas sans ombrage les Espagnols prendre pied en Italie : la cause qu’il soutenait était, en apparence, la cause du roi Charles VIII ; en réalité, l’indépendance nationale demeurait son plus grand souci. Gonzalve le poursuivait avec acharnement : Doria le rejoignit avec 25 lances levées à ses Irais. Aussi longtemps que Jean de La Rovère continuera la lutte, nous rencontrerons le capitaine génois à ses côtés. Le duc de Milan les verra venir chercher ensemble un refuge à sa cour, et ce sera Doria encore qui, à la mort de Jean de La Rovère, saura dérober aux fureurs de César Borgia le futur duc d’Urbin, François de La Rovère, ainsi que Jeanne sa mère, fille de Frédéric de Montefeltro. Tous ces actes, dictés par le désir de soustraire l’Italie à la domination étrangère, n’en tendaient pas moins, qu’il le voulût ou non, à jeter fatalement André Doria dans les bras du parti français. Louis XII, dès son avènement, reprit sans hésiter les projets avortés de Charles VIII ; de retour à Gênes, en l’année 1503, Doria trouva Gênes entièrement soumise aux volontés du roi de France. Fallait-il reprendre le chemin de la terre-sainte ? Une révolte venait