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était d’un aspect rébarbatif, tout d’abord, cette étude, et ensuite d’une lecture ingrate, elle avait cependant son prix ; et elle l’aurait surtout pour celui qui voudrait en tirer ce que peut en effet comporter un semblable sujet. On attribue communément ce mérite aux Provinciales d’avoir « fixé la langue, » et, dans la mesure où l’on peut « fixer les langues, » M. Désiré Nisard a montré supérieurement le sens et la portée d’un tel éloge. M. Derome y ajoute pourtant une réflexion fine : c’est que les Provinciales ont fixé surtout une certaine langue, et donné le modèle d’un art d’écrire qui d’ailleurs aurait pu sensiblement différer de ce qu’il est sous la plume de Pascal, sans pour cela répugner au génie de la langue. C’est une question, et il y aurait lieu de l’examiner. En effet, dans l’état d’indétermination relative où se trouvait la langue française, ou plutôt l’art d’écrire en français, au commencement du XVIIe siècle, pourquoi les lettres de Balzac, par exemple, ou celles de Voiture, n’en ont-elles pas fixé les règles générales ? Mais on voit que c’est là plutôt un point de l’histoire de la langue et de l’esprit français que de celle de Pascal.

Autant en dirai-je d’une question que je croyais vidée, mais qu’il paraît que l’on discute encore : Quelle est la première édition des Pensées ? C’est un point, si l’on veut, de l’histoire de Pascal ; mais c’en est un surtout, selon comme on le prend, de l’histoire du jansénisme ou de l’histoire de la librairie. S’il y a trois éditions des Pensées qui ont pu passer pour la première : l’une, datée de 1669, et dont on ne connaît que très peu d’exemplaires ; les deux autres, datées de 1670, et ne différant guère entre elles que par le nombre des pages, — 365 dans l’une et 334 dans l’aune ; — il n’est pas douteux que l’édition en trois cent trente-quatre pages soit la dernière des trois ; que l’édition de 1669 soit une édition d’essai, destinée tant à la censure qu’aux amis très particuliers de Pascal ; et qu’ainsi l’édition de 1670, en trois cent soixante-cinq pages, est la bonne. Mais quel est l’intérêt de la question en ce qui regarde Pascal, puisqu’il est convenu que le seul texte de Pascal est aujourd’hui celui du manuscrit autographe, et qu’aucun éditeur, depuis Bossuet, n’a cru devoir reproduire l’ordre qu’avait adopté Port-Royal ?[1]. C’est un peu soulever des questions pour le plaisir de les résoudre, plaisir d’érudit, s’il en fut, et d’autant plus vif qu’elles fournissent matière à plus de digressions. D’aucuns ont même prétendu que ce pourrait bien être l’objet propre de l’érudition : abuser du nom de Pascal pour nous faire lire le Pugio fidei, comme d’autres abusent du nom de Molière pour nous conter les histoires d’un immeuble de la rue Richelieu.

  1. Sauf pourtant M. Jouaust, dans une belle édition, précédée d’une introduction de M. de Sacy.