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lorsqu’ils considéraient que ces astres qui les gouvernaient et qu’ils ne pouvaient compter habitaient le même ciel et semblaient tous obéir à la même loi, ils étaient tentés de leur donner un maître, et leurs yeux cherchaient au ciel l’invisible berger qui poussait devant lui son troupeau d’étoiles.

Quand l’homme se fut assis, quand la maison remplaça la tente, quand des mains audacieuses, au risque de paraître criminelles, eurent ensemencé la terre et bâti les premières cités, les dieux changèrent comme les mœurs, et le système patriarcal disparut avec la vie nomade. La Chine seule l’a conservé, en prouvant qu’il était compatible avec une civilisation très raffinée. Son architecture, comme on l’a remarqué, témoigne de ses origines et procède de la tente de peaux sous laquelle s’abritait le Touranien voyageur : « Les maisons chinoises, a dit Hope, semblent attachées à des piquets, qui plantés en terre, auraient fini par y prendre racine et par s’immobiliser. » Les hommes qui habitent ces maisons ressemblent bien peu aux pasteurs dont ils descendent, mais ils ont gardé le culte du ciel, la religion des nomades, à cela près qu’ils l’ont sécularisée et que le ciel s’est incarné dans la personne de leur souverain, qui leur sert de médiateur avec les puissances surnaturelles. Il couvre toute la terre, il contrôle l’univers entier, il a la clairvoyance des cinq grands génies. Il dispose de la pluie, du vent et des tempêtes, il dompte les élémens, il est en son pouvoir d’anéantir tout ce qu’il touche. Les ambassadeurs étrangers qui l’approchent sentent leurs genoux s’entre-choquer et fléchir sous eux ; il ne tiendrait qu’à lui de les anéantir de son regard, d’un éclair de sa prunelle. Heureusement sa bienveillance est plus large que les quatre grandes mers, sa clémence est plus haute que la voûte étoilée ; joignez le Fleuve-Jaune et le Fleuve-Bleu, et leurs longueurs réunies ne vous donneront qu’une faible idée de ses compassions. Si des inondations ou des sécheresses viennent compromettre la félicité de ses sujets, il se tâte le pouls, il interroge sa conscience, il recherche avec une attention sévère par quel péché ignoré de lui il a troublé l’ordre des saisons et de la nature.

La famille chinoise, comme l’a si bien dit le colonel Tcheng-Ki-Tong, est une sorte de société civile en participation, où les biens sont d’habitude possédés en commun et dont tous les membres, solidaires les uns des autres, sont tenus de se prêter assistance. L’autorité appartient au plus âgé, qui a les fonctions d’un chef de gouvernement ; tout le monde fait ses apports, les ressources sont rassemblées dans une même caisse, et des statuts définissent les droits et les devoirs de chacun. L’entretien des vieillards, l’éducation des enfans, les secours aux nécessiteux, les primes accordées aux jeunes gens après leurs examens, les donations aux filles qui se marient, tout est prévu, tout est