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évêque, parle de ce discours, et en parle d’une manière qui nous étonne. Après avoir dit que ce pontife du Christ et de Dieu surpassait les pontifes de ce monde par ses sentimens d’humanité aussi bien que par la vérité de sa doctrine, il le représente qui assemble son peuple à l’occasion de la peste pour lui enseigner à se faire par là des mérites devant Dieu. « Puis il ajoutait, continue Pontius, qu’il n’y aurait rien de merveilleux si nous n’accomplissions les devoirs de charité qu’envers les nôtres ; que celui qui veut devenir parfait doit faire plus que le publicain et le gentil ; vaincre le mal en faisant le bien, et à l’exemple de la bonté divine, aimer même ses ennemis, et comme le Seigneur nous l’ordonne, prier pour ses persécuteurs, etc. » Et plus loin : « Si les gentils avaient pu entendre de tels discours, peut-être n’en faudrait-il pas davantage pour les faire croire… Aussi, grâce à la surabondance des bonnes œuvres, on faisait du bien à tous, et non pas seulement à ceux de la maison, aux fidèles. On faisait plus que ce qui est écrit de l’incomparable humanité de Tobie… Car ces morts que le roi avait fait tuer et jetés sans sépulture, et que Tobie enterrait, n’étaient que des hommes de sa race. »

Eh bien ! il n’y a pas un mot en ce sens dans le discours que nous avons sous les yeux ; pas un endroit où il soit dit qu’il faille soigner les malades des gentils ou enterrer les morts des gentils. De même, si on lit le discours intitulé : Les bonnes œuvres et de l’aumône, on n’y trouvera pas un seul passage où il soit dit qu’on doive faire l’aumône aux gentils.

Il est vrai seulement que dans un livre qui ne consiste qu’en une série de textes de l’Écriture distribués de manière à faire une espèce de sommaire de la morale chrétienne, on trouve un paragraphe, le quarante-neuvième, que je vais traduire tout entier : « Qu’il faut aimer ses ennemis. Dans l’évangile selon Luc : Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, où est votre mérite ? Les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment. Et selon Mathieu : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez les fils de votre Père qui est aux cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et les méchans, et tomber sa pluie sur les justes et les injustes. »

Voilà sans doute ce que Pontius avait dans l’esprit, et ce dont il a fait l’application à propos de la peste et du discours sur la peste. Mais cette application, Cyprien ne l’a pas faite lui-même, et nous ne voyons pas dans ses écrits la moindre trace qu’il ait demandé à ses chrétiens ces dévoûmens. On priait sans doute pour les persécuteurs, car on priait pour César ; cela ne coûte pas grand’chose, et l’église continue encore de prier le vendredi saint pour les traîtres