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interrogatoire, à des Acta proconsularia ; un extrait de ces Acta nous a été conservé[1]. Il refuse également d’abjurer sa foi et de dénoncer les anciens de son église. Le proconsul, en vertu de l’édit des empereurs, le relégua dans la petite ville de Curube[2].

Le proconsul paraît avoir été plein de ménagemens pour l’illustre condamné. Pontius nous déclare qu’on lui avait choisi un lieu d’exil sain, convenable, réunissant tous les agrémens ; que son logement était retiré et paisible comme il pouvait le souhaiter, et qu’il n’y souffrait d’aucune privation, les fidèles accourant de tous côtés pour lui fournir ce qui aurait pu lui manquer. Pontius, qui partageait, comme il nous l’apprend, l’exil de son évêque, est évidemment resté reconnaissant au proconsul Paternus, et nous aussi, aujourd’hui encore, nous lui savons gré de cette conduite, qui est celle d’un homme de goût et de sentimens délicats.

Mais la relégation de Cyprien n’avait nullement profité à l’autorité et nullement dompté la foi de son église. Pendant qu’il était à Curube, nous voyons que de simples fidèles, des diacres, des anciens, des évêques même de villes plus humbles que Carthage, étaient jetés aux mines pour leur résistance obstinée. De son exil Cyprien leur écrit courageusement pour les féliciter de leur constance et les fortifier par ses éloges. Jamais l’exaltation n’est allée plus loin dans la lutte de l’âme contre la force brutale, et jamais elle n’a soulevé de plus grandes vagues d’éloquence. Il célèbre tour à tour ceux qui sont déjà morts dans ces épreuves et qui sont allés recevoir la couronne des mains du Seigneur ; puis ceux qui souffrent encore ; qui gagnent à la durée de leurs souffrances de donner l’exemple plus longtemps et de mériter davantage, et qui recevront, au jour des récompenses célestes, une quantité de grâces proportionnée à celle des journées qu’ils ont passées à souffrir. Il leur persuade, — car lui-même il en est persuadé, — que leurs peines sont leurs titres de gloire et la récompense de leurs vertus, couronnées par la vertu suprême du martyre ; ils sont une élite, et une élite qui communique à tout un peuple sa force et son privilège.

Il ne s’en tient pas aux termes vagues et généraux ; il prend en détail chacune des afflictions qu’ils ont à subir, et chacune se transforme par sa parole en une grâce divine. Ces chaînes sont des parures ; ces pieds, maintenant enfermés dans des entraves, vont tout à l’heure, dégagés et libres, les porter au ciel d’un rapide élan. Ils ont faim, mais la parole du Seigneur est leur nourriture. Il poursuit ces antithèses avec une obstination que le froid bon sens peut

  1. Ruinart, Acta martyrum, p. 210.
  2. Relégué, et non exilé ; c’est le mot dont se sert Cyprien (lettre 76, 1, n. 61,1).