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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/325

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qu’il fait mouvoir très rapidement. Immédiatement au-dessus, dans une chambrette en bois, tournent les deux meules superposées, semblables à celles qu’on a trouvées à Pompéi. La meule supérieure est mise en mouvement directement par l’arbre de couche. Rien de plus simple : ni engrenage, ni transmission. N’est-ce pas sous cette forme que le moulin à eau fut introduit d’Asie en Occident, vers la fin de la république romaine ?

Nous rentrons à Serajewo par la route qui, vers le sud, conduit à Vichegrad et à Novi-Bazar. Un pont de pierre, qu’on dit romain, et d’une magnifique allure, franchit la Miljaschka, qui coule torrentueuse entre de hauts rochers rougeâtres. Je pense à tout le sang versé ici depuis la chute de l’empire romain et qui suffirait pour teindre en rouge le pays tout entier. Un grand troupeau de moutons et de chèvres rentre en ville, soulevant au soleil couchant des nuages de poussière dorée. Ce sont ces animaux plutôt que les vaches qui fournissent le lait.

Je finis ma soirée au Casino militaire. Un grand banquet réunit les officiers aux sons d’une excellente musique de régiment. De nombreux toasts annoncés par des fanfares sont prononcés. L’armée autrichienne, comme jadis les légions romaines de vétérans, est un agent de civilisation en Bosnie. Au cabinet de lecture, je remarque deux journaux publiés à Serajewo. L’un a pour titre : Bosamka Herçegowanke-Novine, c’est la feuille officielle ; l’autre, Sarajewski List. Ceci est toute une révolution. Dans le vilayet turc, le papier et l’impression étaient chose presque inconnue, et voilà maintenant le journal qui apporte dans toutes les demeures la -connaissance des faits de l’intérieur et de l’extérieur, et qui rattache la Bosnie aux autres pays slaves. La publicité et le contrôle créant une opinion publique, même sous la surveillance de l’autorité militaire, pas de changement plus considérable, surtout pour l’avenir.

Le lendemain, je suis admis à visiter les bureaux du cadastre, que dirige le major baron Knobloch. J’examine les cartes où sont indiquées exactement la forme et l’étendue des parcelles et leur affectation nettement indiquée au moyen de teintes diverses, terres labourables, près ou bois. L’exécution est très soignée. Rien n’est plus extraordinaire que les cartes reproduisant la région du Karst en Herzégovine. Au milieu de l’étendue stérile, sont parsemées au hasard des oasis microscopiques de quelques ares, qui ont les contours les plus bizarres. Ce sont des dépressions de terre végétale où s’exerce la culture dans cette contrée affreusement déshéritée. Le cadastre, avec ses planches et le tableau des propriétaires et des ‘relations agraires, aura été achevé en sept ans, de 1880 à 1886, avec une dépense relativement minime qui ne dépassera pas 7 millions de francs (2,854,063 florins). Ceci n’est rien moins qu’un