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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/343

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la maison prolonge sa façade précédée d’une vérandah ; en arrière s’étend un jardin que terminent les dépendances. La chambre principale où nous sommes reçus est à la fois le salon et le dortoir commun. Tout autour s’étend le divan à la turque, sur lequel se couchent tous les membres de la famille, suivant les anciens usages. Seule la fille aînée, gagnée aux idées modernes, a voulu avoir et a obtenu un lit. Il est vrai qu’elle fait des broderies merveilleuses sur des tissus de fin coton et de toile, et la mère nous les montre avec orgueil. Le seul meuble est une grande table couverte d’un beau tapis de Bosnie. Aux murs peints à la détrempe sont pendus une glace et quelques gravures grossièrement coloriées représentant des saints et des souverains. L’arrangement de cet appartement révèle déjà la transition vers les mœurs occidentales.

Les chrétiens du rite oriental sont deux fois plus nombreux que les catholiques dans la Bosnie-Herzégovine. La statistique officielle a compté, en 1879, 496,761 des premiers et seulement 209,391 des seconds ; 3,447 orthodoxes orientaux sont fixés à Serajewo et beaucoup d’entre eux s’occupent de commerce et ont quelque aisance ; mais, sur les 21,377 habitans que compte la capitale, 14,848, ou 70 pour 100, sont musulmans. Il est remarquable que les orthodoxes soient restés si fidèles à leur culte traditionnel, car ils ont été longtemps rançonnés sans merci par le clergé phanariote. Le patriarche de Constantinople n’est nommé qu’au prix d’énormes bakchich. M. Straus, qui parait bien renseigné, prétend que l’élection de 1864 coûta plus de 100,000 ducats, moitié pour le gouvernement turc, moitié pour les pachas et les eunuques. Afin de couvrir les frais, affirme notre auteur, les riches familles phanariotes constituaient une société par actions. Celle-ci faisait l’avance des bakchich, qui lui étaient restitués avec grand bénéfice. Par quel moyen ? Par le même système. Ils mettaient aux enchères les places d’évêques, et ceux-ci se faisaient rembourser par les popes, lesquels avaient à récupérer le tout sur les fidèles. La hiérarchie ecclésiastique n’était donc que l’organisation systématique de la simonie, qui à la façon d’une puissante pompe aspirante, achevait de dépouiller les paysans déjà écorchés à vif par le fisc et par les begs. Les infortunés popes avaient eux-mêmes à peine de quoi subsister ; mais les évêques touchaient 50,000 à 60,000 francs par an et le patriarche vivait en prince. Le plus clair de toutes ces spoliations allait se déverser à Constantinople, qui vendait aux enchères le pouvoir d’exploiter les croyans. Il y avait dans les deux provinces 4 évêchés ou éparchies, 14 couvens et 437 popes séculiers ou réguliers ; ceux-ci manquaient de toute instruction. Voici comment ils obtenaient leur cure. Un parent ou un protégé du pope l’aidait