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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/372

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saint-siège et l’alliance de la France qui en est la conséquence ; si cet appui lui manque, sa puissance s’écroule et nous n’avons plus devant nous qu’un audacieux condottiere : mais il y a encore une logique dans cette vie aventureuse ; tout y est conséquent ; le crime, le triomphe et la chute. Dès le premier jour, César entame la lutte avec la destinée qui l’a enfermé dans une impasse, et il en sort, annonçant à l’avance les coups qu’il va porter. Encore attaché à l’église, à peine à l’âge viril, nous venons de le voir affirmer ses ambitions et ses désirs, et, au moment de s’élancer, fixer les yeux sur la plus haute cime. Il parcourt une rapide carrière ; comme tous les audacieux, il a ses jours de fortune, et il oppose aux rigueurs du sort une résistance opiniâtre et ne s’avoue jamais vaincu. Cette ténacité qui jamais ne se lasse, fait de lui une personnalité, mais comme il n’a réalisé qu’en partie les vastes desseins qu’il avait conçus, la figure historique reste ébauchée et comme foudroyée sur sa base.

IV.

L’auteur de Rome au moyen âge, tout en admettant que César avait conçu la pensée de reconstituer à son profit le royaume de l’Italie centrale, conteste que Machiavel ait le droit de dire qu’il y avait en lui quelque grandeur ; et il ajoute : « Ce n’est pas la dernière idole que l’histoire aura encensée. » Le point de vue auquel se place Machiavel n’est cependant contestable qu’en ce qui touche la pensée secrète que César avait eue de s’isoler du saint-siège, une fois sa force constituée, et d’opérer pour son propre compte en Italie. Il est probable, en effet, que le meurtrier de Gandia, capitaine de l’église, puis prince français, enfin duc des Romagnes, bientôt maître de Pérouse, de Pise, convoitant Bologne, et osant même menacer la Toscane, était ce qu’on appelle « un tempérament ; » il n’a jamais eu sans doute d’autre idée politique que le désir de régner et d’assouvir son ambition, comme Alexandre VI, de son côté, ne songeait qu’à enrichir ses fils, et ne se souciait de la puissance de l’église qu’en tant qu’elle augmentait la sienne. C’est même là, malgré des dons réels à côté de vices odieux, ce qui fait la faiblesse du pontife et du souverain. Mais les faits qu’accomplissaient le père et le fils n’en concouraient pas moins à l’unité de l’Italie ; César agissait même contre Alexandre et détournait déjà le courant à son profit, puisqu’à la mort du pontife, tous ses capitaines refusèrent de remettre les forteresses des Romagnes aux mains de Jules II. Qu’importait dès lors au secrétaire de la république florentine quel était le bras qui frappait les tyrans, et le but personnel de celui qui organisait sagement ses conquêtes dans le plus vaste rayon possible du