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fortune est déchaînée avec trop de violence contre moi. » Dix jours après, on apprit à Naples que les capitaines des Romagnes étaient sortis des forts, à cheval, bannière au vent, suivis de leurs officiers, au cri de : « Duca ! .. Ducal.. »

Le soir du même jour, au moment où César se croyait libre puisqu’il avait accompli sa promesse, on s’empara de sa personne, et, porté de force à bord d’une galère, quelques heures après il faisait voile pour l’Espagne, accompagné d’un seul écuyer, et gardé à vue par son ennemi le plus cruel, Prospero Colonna, chargé d’escorter le prisonnier, que les galères du roi de France auraient pu tenter d’enlever.

Laudabilîs perfidia, dit l’historien de Thou ; ce ne fut pas l’avis de Louis XII, qui comptait encore sur César pour agir en Lombardie. « La parole du roi d’Espagne vaut la foi carthaginoise, » dit le souverain en apprenant l’enlèvement du Valentinois. « Le monde applaudit, écrit Gregorovius, mais la mémoire de Gonzalve a gardé cette tâche. Lui aussi sentit le remords, car il fut trahi par un roi. » On dit que le grand capitaine, près de sa fin, s’accusa publiquement d’avoir manqué deux fois à sa parole, envers le roi Ferdinand et envers le Valentinois. Edoardo Alvisi, l’historien de la conquête des Romagnes, raconte que Baldassare da Scipione, le capitaine entre les mains duquel on avait annulé le sauf-conduit, fit publier un défi dans toute la chrétienté « à quiconque de la nation espagnole oserait dire : Le duc Valentino n’a pas été livré malgré le sauf-conduit du roi Ferdinand et de la reine Isabelle, ait mépris de la foi jurée et à la honte de leur couronne royale. »

César était monté sur la galère le 20 août ; le même jour, pour preuve de l’entente entre Jules II et les rois catholiques, partait de Rome, à l’adresse du sénat de Venise, la dépêche suivante, signée de Giustiniani, ambassadeur de la Sérénissime auprès du saint-siège : « Ultimo, Sa Sainteté m’a dit, ce que j’avais d’ailleurs recueilli d’autre part : que le Valentinois vient d’être envoyé en Espagne, bien gardé, accompagné d’un seul page. Le pape ajoute qu’il a eu en mains des lettres personnelles du roi d’Espagne au sujet de cette résolution, lettres contenant l’ordre de l’envoyer strictement gardé. »

César ne devait jamais revoir l’Italie ; il n’avait pas atteint sa vingt-huitième année, et sa carrière politique et militaire avait duré quatre ans à peine. A son arrivée en Espagne, on l’enferma à Chinchilla, dans le royaume de Valence ; le lieu paraissant peu sûr, il eut pour nouvelle prison le château-fort de la Mota, à Médina del Campo. Pendant ce temps, à Rome, les Orsini poursuivaient la cause judiciaire qu’ils lui avaient intentée afin d’obtenir un arrêt. « Les