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infiniment plus utile ici d’insister sur le principe et l’âme cachée de ces violences mêmes.

Les contemporains ne s’y trompaient point. « La révolution s’annonce, écrivait-on dès avant la réunion des états-généraux, comme une espèce de guerre déclarée aux propriétaires et à la propriété. » C’était bien ainsi que l’entendaient les journalistes et les brochuriers. « Puisque la bête est dans le piège, qu’on l’assomme,.. écrivait encore Camille Desmoulins on 1789,.. jamais plus riche proie n’aura été offerte aux vainqueurs. Quarante mille palais, hôtels et châteaux, les deux cinquièmes des biens de la France seront le prix de la valeur. » — Dois-je avouer en passant que j’aimerais assez que l’on ne consacrât point par des plaques de marbre la maison « où a demeuré » l’échappé de collège qui trahissait dans ces mémorables paroles toute la cupidité de son envieuse nature, et que l’on ne donnât point son portrait en « bons points » aux enfans de nos écoles primaires ? — Si c’était un appel, on sait qu’il y fut répondu. Et, en effet, comme Sieyès dans une autre brochure, Camille Desmoulins avait trouvé là l’une des formules de la révolution. L’Assemblée Constituante au surplus n’était-elle pas obligée de le reconnaître elle-même quand, dès le 3 août, elle avouait « que nulle propriété, quelle qu’en fût l’espèce » n’avait été respectée ou épargnée, dans ce premier déchaînement de la convoitise populaire ? Cependant, cette convoitise, bien loin de rien faire pour la modérer ou la réprimer, la Constituante l’encouragea plutôt ; et les assemblées qui suivirent, non contentes de l’encourager, la réveillèrent quand parfois elle parut s’endormir. C’est ce que déclarent assez nettement la mise en vente des biens du clergé, plus nettement encore les décrets de spoliation qui frappèrent successivement les biens des émigrés, et c’est ici ce qu’il faut bien comprendre si l’on veut comprendre la révolution.

Ni dans l’un ni dans l’autre cas, en effet, il ne s’agissait, comme on l’a dit, de « consolider » la révolution, en lui donnant pour complices, et conséquemment pour défenseurs, les acquéreurs advenir des biens nationaux ; mais il s’agissait proprement de la « faire, » et cette expropriation de toute une classe de l’ancienne France au profit de la France nouvelle était en réalité la révolution tout entière. « Quels que soient les grands noms dont la révolution se décore, liberté, égalité, fraternité, dit excellemment M. Taine, elle est par essence une translation de propriété ; » et il ajoute avec raison : « En cela consiste son support intime, sa force permanente, son moteur premier, et son sens historique. » Sous les déguisemens dont l’esprit de parti, la légende, — et aussi ce qu’un pareil aveu ne laisse pas d’avoir d’humiliant pour toute une aristocratie bourgeoise