Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/425

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attendant, il ne nous a point assez parlé des guerres de la révolution. Précisons seulement la nature et la vraie portée de l’omission, sur lesquelles il semble que l’on se soit généralement mépris.

Si nous nous bornions, en effet, à constater que M. Taine a peu parlé des guerres de la révolution, il pourrait nous répondre qu’il le sait bien, qu’il l’a fait avec intention, qu’il n’a prétendu écrire que « l’histoire des pouvoirs publics, » laissant « l’histoire de la guerre » à d’autres, comme il leur a laissé « l’histoire des finances. » Et pourquoi n’ajouterait-il pas que l’une des légendes qu’il essaie de combattre étant celle qui veut que le terrorisme ait sauvé la France, il lui suffisait de montrer que, bien loin d’avoir apporté ce que l’on croit de force aux armées de la frontière, les représentans en mission n’y ont généralement agi que comme un ferment de désordre et d’indiscipline ? Or c’est ce qu’il a fait dans un chapitre particulier de son quatrième volume. Le dirai-je en passant ? La démonstration serait moins éloquente que j’aimerais encore y croire. Car enfin, cette légende soi-disant héroïque n’a-t-elle pas quelque chose de trop humiliant pour l’honneur national ? Faudra-t-il que nos pères à tous n’aient eu de courage et de patriotisme que sous la menace de la guillotine ? Ou, si l’on aime mieux cette autre manière de dire la même chose, faudra-t-il que la bravoure dont ils donnèrent tant de preuves n’ait été en eux qu’un effet de la peur ? et leur jetterons-nous longtemps encore cette injure pour l’unique satisfaction de diviniser les Saint-Just ou les Jean-Bon Saint-André ? Plût aux dieux seulement et à la fortune de la France, qu’en ce temps-là, comme du nôtre, des hommes dans toute la force de la jeunesse ou dans toute la vigueur de l’âge eussent pris le fusil sur l’épaule au lieu de jouer dans la salle du Manège ou dans nos grandes villes de province leur tragi-comédie sanglante ! Mais ils se réservaient d’ordinaire à de plus paisibles et de plus nobles emplois : ceux d’administrateurs des droits réunis, par exemple, ou de sous-préfets de l’empire, et, le cas échéant, d’espion de police, comme Barère.

En revanche, ce que l’on peut justement reprocher à M. Taine, c’est de n’avoir pas tenu compte, — lui qui par cette seule influence du « milieu » nous a jadis expliqué tant de choses, — du « milieu » moral que la guerre étrangère a constitué aux hommes de la révolution. Or, le Manifeste de Brunswick ne justifie certes pas le 10 août, mais peut-être, et en partie au moins l’excuse-t-il ; de même qu’assurément la prise de Longwy ne légitime pas les massacres de septembre, mais enfin peut servir à les expliquer. Pareillement, nous accordons à M. Taine que la terreur fut la cause ou l’une des causes de l’émigration ; mais peut-il méconnaître à son tour que l’émigration