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lyre des poètes est sans écho. Le commerce, l’industrie, les affaires, l’atelier et la fabrique, le trafic en tous genres, voilà en quelques mots la vie ordinaire de cette opulente et populeuse cité. Sa prospérité croissante la console de su grandeur passée, qu’attestent tant de monumens remarquables et tant de documens précieux. Le génie positif de la race a fini par l’emporter sur l’esprit d’aventure ; le génie de l’indépendance a cédé au goût de la spéculation. Les grandes fortunes et les fortes maisons ne sont pas rares à Barcelone.

On ne peut quitter cette ville florissante sans un sentiment d’admiration et de respect en souvenir de tout ce qu’elle a fait ou tenté pour la liberté et pour la gloire. Quant à l’amertume qui s’y mêle, elle est tempérée par la réflexion banale et pourtant sage, que toutes choses en ce monde suivent fatalement leur cours. A mesure qu’on avance du midi vers l’orient, on est mieux disposé à comprendre la grave poésie du destin immuable.

Les environs de Barcelone ne sont pas laids, bien qu’on sente partout la préoccupation de l’utile. Tout rappelle le travail dans cette banlieue, admirablement encadrée entre les montagnes et la mer. Les faubourgs sont autant de petites villes propres et coquettes, reliées à la métropole par des tramways toujours pleins : Gracia, Sanz, Barcelonette, essaims détachés de la grande ruche. La beauté du paysage s’accroît encore en descendant vers le sud. Plus de variété, et non moins de pittoresque. Malgré la chaleur, qui est accablante dans l’après-midi, la curiosité l’emporte sur la fatigue, tant est ravissant le tableau qu’illumine le soleil d’août aux heures somnolentes de la sieste. Entre les montagnes lointaines et la plage sablonneuse au bord de laquelle se déroule la voie ferrée, s’étend, à perte de vue, la plaine fertile. Aux vignobles des coteaux succèdent les vignes mêlées d’arbres fruitiers, les vastes jardins potagers, les enclos des fermes, quelques parcs, de riches cultures, beaucoup de maisons de plaisance aux environs des petites villes et des gros bourgs penchés au flanc des collines. Peu d’habitations sur les hauteurs. La végétation ressemble peu à celle des pays du Nord. Le chêne domine sur les pentes, le pin maritime du côté de la mer. Les terres cultivées sont abondamment plantées d’oliviers d’une belle venue, de figuiers aux larges feuilles, de caroubiers au feuillage sombre, d’épaisses haies de cactus, d’aloës et de grands roseaux verts qui répandent la fraîcheur et l’ombre. Point de prairies ; peu de pâturages ; pas un pouce de terrain perdu. Rien ou presque rien n’est donné au luxe. L’agrément naît partout de cette intelligente culture, qui ne sacrifie qu’à l’utile. La nature a fait un cadre magnifique à ce riant tableau de l’industrie agricole. Ce jardin immense, où tout prospère, a pour clôture les montagnes bleues