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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/459

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Sainte-Marie, monument d’une architecture gracieuse et sévère, instrument d’une grande puissance, aux sons purs et argentins. La maîtrise n’est point au-dessous d’un tel orchestre. Les musiciens ne sont pas rares dans ce pays ; l’un des plus célèbres, don Benito Andreu, compositeur estimé, a reçu les honneurs d’une inscription commémorative placée au-dessous de l’orgue, à côté des pierres tumulaires des deux anciens gouverneurs français de Minorque. Ce qui mérite encore d’être vu, c’est la bibliothèque de la ville, installée, un peu à l’étroit, dans l’ancien réfectoire des franciscains. Parmi les 15,000 volumes qui forment la collection et dont la plupart proviennent des six anciens couvens de l’île, fermés depuis près de cinquante ans, il en est beaucoup de précieux à cause de leur rareté, de la beauté et de la date de l’impression. Les incunables surtout sont dignes de l’admiration du plus délicat bibliophile. Le bibliothécaire, qui est un homme instruit, plein de zèle et de goût, s’entend particulièrement à la restauration des vieux livres. Son exemple n’a pas été perdu et la bibliothèque a des habitués fidèles et des lecteurs assidus, particularité notable dans une sous-préfecture éloignée des grands centres. Il est vrai que bon nombre de familles bourgeoises ont conservé les traditions du XVIIIe siècle et se souviennent encore des bienfaits de la domination anglaise et française, de cette dernière surtout, qui était plus douce et plus populaire à cause de la communauté de croyances. Le plus beau village de l’île est Saint-Louis, bâti par les Français, avec une belle église au fronton de laquelle est inscrite cette dédicace :


DIVO LVDOVICO SACRVM DEDICAVERE GALLI.


C’est une large route royale bordée de maisons propres et gaies. Beaucoup de Mahonais possèdent l’anglais et le français, et, au rebours de leurs voisins de Palma, subissent intellectuellement l’influence de la France plus volontiers que celle de l’Espagne.

L’activité littéraire se réduit à peu de chose. Il y a trois journaux qui s’occupent encore plus de politique et de controverse que des intérêts du pays. La polémique absorbe l’attention et la curiosité générale. Quoique le dialecte de Minorque soit de beaucoup le plus doux, le plus flexible, le plus propre, par conséquent, à l’expression de la pensée, il est de plus en plus délaissé. On le parle toujours, mais quiconque sait écrire écrit en espagnol. C’est en espagnol que sont imprimés les livres les plus usuels, les plus élémentaires, y compris les ouvrages de piété et le catéchisme. La langue officielle ayant tout envahi, la littérature indigène se restreint à mesure que se répand l’instruction. L’instituteur primaire n’a plus à craindre