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connaissait bien ; il raille dans un de ses livres sa prétention d’être le souverain pontife, l’évêque des évêques[1]. Mais Cyprien ne reconnaissait pas cette supériorité ; il ne voit dans le chef de cette église si fière qu’un collègue. Quand il est en bons termes avec les évêques de Rome, il leur rend volontiers l’hommage d’appeler leur église l’église souche, la racine des églises, matricem ac radicem, l’église première, principalem. Mais lorsqu’à la fin de sa vie il fut en dissentiment avec l’évêque Stéphanus ou Etienne, il professait hautement et il ne craignait pas de lui écrire à lui-même que chaque chef d’église administre son église comme il l’entend, en pleine liberté et ne doit de compte qu’à Dieu seul. On verra plus loin quelles libertés il se permet alors avec lui.

La lutte contre Stéphanus est une exception à la fois unique et tardive dans la vie de Cyprien. Jusque-là il n’avait eu de relations avec Rome que pour s’appuyer sur elle. Cette autorité de l’église romaine s’exerçait même quand le siège épiscopal y était vacant. Au début de la persécution, l’évêque de Rome, Fabianus, avait été mis à mort et n’avait pu être remplacé ; Carthage, de son côté, était sans évêque, puisque Cyprien avait disparu et que, dans ces premiers temps, il était sans doute hors d’état de communiquer avec les siens. Le clergé de Carthage écrivit alors au clergé de Rome pour lui notifier la retraite de Cyprien et pour l’excuser ; et le clergé de Rome répondit à celui de Carthage par des conseils et des encouragemens sur la conduite à tenir pendant la persécution (lettre 8). Dans la lettre 9, Cyprien lui-même demande compte d’une lettre qui lui est venue de Home, et qui semble avoir contenu des leçons qu’il n’est pas disposé à accepter sans éclaircissement. Mais une fois que l’affaire des Tombés est engagée, il n’a rien de plus à cœur que de se fortifier par l’approbation de l’église de Rome, et il écrit plusieurs lettres dans ce sens. Il rend compte au clergé romain de tous ses actes ; il met sous leurs yeux les lettres qu’il a écrites ou qu’il a reçues. C’est, leur dit-il, un devoir de charité et de sagesse, de ne rien leur dérober de ce qui se passe dans son église. Il leur donne les raisons de son absence pendant la persécution, et leur explique comment il a agi sans cesse, quoique absent, et rempli tous ses devoirs. Il se règle sur leurs avis et sur leurs exemples. Nous avons aussi les réponses du clergé de Rome, parmi lesquelles la lettre 30 est particulièrement remarquable. Ils rendent à la dignité et au personnage de Cyprien tout ce qu’ils lui doivent[2] ; ils le remercient

  1. De Pudicitia, 1. L’expression Pontifex maximus, que Tertullien applique ironiquement à l’évêque de Rome, ne désignait encore à cette époque que le grand pontife des gentils.
  2. Beatissime ac gloriossims papa.