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autour de lui. Dans cette même journée du 20, le roi fit rédiger par le comte d’Avaray une relation des événemens qui avaient précédé son départ; ce récit fut envoyé à l’évêque de Tarbes et au bailli de Crussol à Londres, au cardinal Maury à Rome, à l’évêque de Nancy à Vienne, à M. de Thauvenay à Hambourg et à M. d’André, celui de ses agens en Suisse qui lui inspirait le plus de confiance.

Il fallait encore décider en quel pays le roi porterait ses pas. Ce fut l’objet d’une délibération qui eut lieu, dans la soirée, entre lui et ses conseillers. La situation politique des diverses cours de l’Europe fut examinée de près, au point de vue de ce qu’on pouvait attendre d’elles. La cour d’Espagne fut écartée à cause de ses relations avec le gouvernement français. On pouvait compter sur un bon accueil en Suède et en Danemark. Mais la rigueur de la saison ne permettait pas de s’y rendre avant le printemps. La malveillance avérée de l’Autriche faisait supposer que le cabinet de Vienne ne consentirait pas à recevoir un Bourbon. Le roi des Deux-Siciles était disposé sans doute à offrir un asile à son parent malheureux et proscrit. Mais, pour arriver dans ses états, il fallait traverser des contrées surveillées par la république. Restaient l’Angleterre et la Prusse. L’Angleterre fut jugée dangereuse ; c’était l’heure où Bonaparte la signalait à l’Europe comme l’ennemie séculaire de la France. En se réfugiant parmi les Anglais, le roi s’exposerait à froisser irréparablement les susceptibilités de ses sujets, et du même coup, celles du tsar, qu’il était tenu de ménager. Quant à la Prusse, elle vivait en paix avec la république. Tolérerait-elle la présence sur son territoire du plus redoutable adversaire du gouvernement républicain ? À cette question, M. de Caraman répondit que le roi de Prusse ne refuserait pas l’hospitalité au roi de France. « Vous irez donc la lui demander en mon nom, dit Louis XVIII, et au moins jusqu’au jour où les puissances coalisées auront pu s’entendre pour mon établissement définitif. » Caraman partit dans la nuit. Le roi devait attendre de ses nouvelles à Memel, la première ville prussienne au-delà de la frontière russe.

Assistés jusqu’au dernier moment par le général de Fersen, salués par ceux de leurs serviteurs qui ne restaient derrière eux que pour les rejoindre à quelques jours de là, le roi et la duchesse d’Angoulême se mirent en route, le 22 janvier, dès le matin. Leurs passeports étaient libellés au nom du comte de Lille et de la marquise de La Meilleraye. Leur suite se composait du comte d’Avaray, de la duchesse de Sérent, de l’abbé Edgeworth, du vicomte d’Hardouineau et de-trois domestiques. Il y avait en tout deux carrosses. Le froid était rigoureux; la neige tombait dru, couvrait de ses couches