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Voyez cette créature de Dieu, celle d’où nous vient le sifflement. Elle ne siffle que lorsqu’on l’inquiète. »

M. de Bismarck s’est plaint souvent que, soit au Reichstag, soit dans la chambre des députés, il se trouvait en présence d’une majorité chicaneuse, brouillonne, animée d’un esprit de contention et d’aigreur, issue d’un accord fortuit dans la négation, disposée à rejeter tout ce qu’il lui propose. Il s’est plaint aussi que cette majorité malveillante et rétive s’accordait toujours à lui imputer tout ce qui pouvait arriver de fâcheux en Allemagne et dans le monde. Il rappelait à ce propos qu’on avait eu jadis l’habitude de rendre l’empereur Napoléon III responsable de toutes les calamités, des tremblemens de terre, des sécheresses, et que si le temps était mauvais en Chine ou en Tartarie, c’était à lui qu’on s’en prenait : « J’en arrive exactement au même point, c’est-à-dire que la baisse du prix des sucres et la mauvaise récolte des betteraves est inscrite à mon débit. Quoi qu’il puisse arriver, on dit : « Cherchez le chancelier! — qui est le seul coupable. » Aussi, dans un moment d’irritation, a-t-il déclaré que la façon dont s’exerçait le droit électoral ne pouvait manquer d’en dégoûter les gens raisonnables, que dans une génération ou deux il n’y aurait plus de chambres ni d’élections.

M. de Bismarck est un ingrat. Si l’Allemagne et la Prusse n’avaient plus de chambres ne manquerait-il pas quelque chose à son bonheur? N’a-t-il pas sujet de se féliciter qu’il y ait à Berlin un endroit où il peut dire hautement tout ce qu’il a sur le cœur et donner libre carrière à son éloquence romantique, heurtée et pittoresque, qui joint selon les cas l’invective à l’épigramme, les emportemens oratoires aux raisonnemens subtils et aux grâces aussi dégagées que perfides de sa majesté le léopard, jouant à la main chaude avec les singes? D’ailleurs, cette majorité revêche qui le chagrine quelquefois par ses refus, n’a-t-il pas la joie d’en avoir souvent raison, de dompter ses résistances par l’ascendant de son génie et de son autorité ? Elle met sa patience à l’épreuve; mais il a dit lui-même plus d’une fois que sa vie n’avait été qu’une longue bataille, que la contradiction était son élément. Que deviendrait-il le jour où il n’aurait plus à se battre contre personne ?

Quel que soit le résultat des élections prussiennes, on ne peut espérer qu’il s’en déclare satisfait. Pour qu’une chambre lui agréât pleinement, il faudra la composer presque tout entière de représentans de la classe agricole, de la grande et de la petite propriété. On sait la préférence toute particulière qu’il a pour les gens qui possèdent au moins quelques bons arpens de terre au soleil, et surtout pour ces hobereaux campagnards qui sont leurs propres fermiers, « pour ces messieurs au visage hâlé, qui trottent dès cinq heures du matin sur leurs champs pour les mettre en culture à la sueur de leur front, et de qui l’on peut