Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/693

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il en est d’assez importantes, qu’une assemblée a le droit de s’informer si les lois qu’on lui propose sont bonnes, si les crédits qu’on lui demande seront judicieusement employés, que du moment qu’on la condamne aux perpétuels et silencieux acquiescemens, on pourrait se passer de son concours et substituer au régime de la discussion l’omnipotente dictature des grands hommes. Dans les familles les plus unies, il y a toujours entre frères ou entre cousins de petites querelles qui tournent quelquefois à l’aigre; quand on a un procès avec le voisin, les différends s’apaisent; quand le voisin se tient tranquille, on recommence à se disputer. C’est l’histoire des familles; monarchies ou républiques, c’est l’histoire des états.

Mais M. de Bismarck se plaît à croire que les partis et leurs discussions byzantines ne tarderont pas à passer de mode, que la jeunesse qui étudie dans les universités d’Allemagne est impérialiste dans l’âme, qu’affranchie de tout préjugé, dégrisée de toutes les chimères constitutionnelles et libérales, elle ne croit qu’à son empereur et méprise le reste. « La génération qui grandit sous nos yeux, disait-il, a une plus haute conception de la vie politique que tous les gens de notre âge, qui en traversant les années 1847 et 1848, ont été marqués de l’estampille des partis et ne peuvent l’effacer de leur peau. Que nous soyons seulement tous morts, vous verrez alors comme l’Allemagne fleurira. » Il y a quelques jours, la Gazette de l’Allemagne du Nord, revenant sur cette idée, exhortait les électeurs prussiens à envoyer à la chambre beaucoup de ces jeunes gibelins, pour lesquels les prérogatives parlementaires et les passions confessionnelles sont un objet de pitié ou de dégoût. Nous doutons cependant que la jeunesse allemande soit tout entière dans de tels sentimens et qu’elle n’ait pas ses libéraux et ses guelfes. De nombreux étudians ont assisté au congrès de Munster; ils y ont banqueté en costume moyen âge, ils y ont porté des toasts à la sainte église catholique, et perçant de leurs rapières leurs casquettes de Bursche, ils ont juré l’un après l’autre de combattre pour la délivrance de Sion.

Quand M. de Bismarck ne cite pas Shakspeare, il emprunte volontiers ses comparaisons à la mythologie du Nord. Il disait naguère au Reichstag que tous les malheurs de l’Allemagne lui venaient du perfide et astucieux Loki et des embûches que tend ce malfaisant génie à l’aveugle crédulité d’Hoedur, le plus puissant des Ases, fils mal venu d’Odin et de Frigg. Quelques jours après, il expliqua que Loki représente « les messieurs qui parlent et qui écrivent, » que si Loki n’est pas précisément M. Richter, il lui ressemble beaucoup, et qu’Hoedur est l’électeur progressiste, qu’on nourrit de sophismes et de calomnies et qui vote aveuglément au gré de ses fallacieux tribuns. « Notre printemps national, s’écria-t-il, n’a duré que quelques années après la grande victoire ;