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Il racontait à ce propos que certaines cuisinières sont assez cruelles pour mettre les écrevisses dans l’eau froide sur le feu ; quand l’eau commence à s’échauffer, les petites bêtes donnent tous les signes d’un vif plaisir. « Cela commence bien, mais cela finit très mal. » Il en est de même, ajoutait-il, de l’ouvrier qui se félicite d’abord d’avoir le pain à bon marché, et qui bientôt, ne gagnant plus rien, est en danger de mourir de faim, attendu que la baisse des prix a toujours pour conséquence l’abaissement des salaires. Payer cher et gagner gros, voilà le vrai bonheur ; mais les hommes sont aussi aveugles que les écrevisses sur leurs vrais intérêts. Telle est sa thèse, qu’il est prêt à défendre en toute rencontre avec autant de subtilité que d’acharnement. En matière d’économie politique, toutes les thèses peuvent se soutenir, et on trouve toujours des faits à citer à l’appui. Mais Loki ne manquera pas de représenter à Hoedur que le chancelier est un économiste sujet à caution et fort changeant, qu’il ne craint pas de se contredire, qu’on pourrait écrire l’histoire de ses variations. N’a-t-il pas déclaré au mois de mai 1879 qu’il ne faut imposer sur les grains qui servent à la nourriture de l’homme, et surtout sur le seigle, qu’un simple droit de finance et non des droits protecteurs?

Loki n’aura pas de peine à persuader à l’Hoedur polonais du duché de Posen et d’ailleurs que M. de Bismarck ne lui veut aucun bien et qu’il doit renoncer à jamais à regagner sa faveur. S’il est des gens qui dans les conjonctures fâcheuses ont coutume de dire : Cherchez le chancelier! — M. de Bismarck de son côté s’écrie volontiers : Cherchez le Polonais! Il le cherche toujours et il le trouve quelquefois. Lorsque l’illustre et regretté docteur Nachtigal se présenta dans la baie de Biafra en qualité de commissaire de l’empire allemand, M. Rogozinski s’y rencontra comme à point nommé pour traverser ses desseins et l’empêcher d’arrondir ses annexions en y joignant les montagnes de Cameroun. Il le gagna de vitesse, obtint des races indigènes la cession d’une partie de leur territoire, qu’il s’empressa de placer sous le protectorat anglais, et le docteur Nachtigal arriva trop tard. M. de Bismarck a raconté lui-même cet incident; il en a pris occasion pour constater que les Rogozinski ont des fonds, et que partout où se trouve un Polonais, un malheur n’est pas loin.

Il n’avait pas attendu jusqu’à ce jour pour s’en convaincre. Le 3 décembre 1884, il disait au Reichstag que les provinces prussiennes détachées de l’ancien royaume de Pologne seraient toujours pour lui un sujet d’inquiétude, que l’agitation qu’on y entretient n’était pas bien dangereuse en temps de paix, mais qu’un politique avisé prévoit les guerres futures et pare de loin aux dangers qui s’annoncent. Il affirma dans la même séance qu’il ne s’était prêté qu’à regret au conflit avec l’épiscopat et le clergé catholique, qu’il n’avait approuvé certaines